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UNE PAGE D’AMOUR.

est toujours délicat… Seulement, dites-vous bien que, dans l’intérêt de votre Jeanne elle-même, le bras d’un homme serait ici d’une grande utilité… Oh ! je sais qu’il faudrait trouver quelqu’un de parfaitement bon, qui fût un véritable père…

Elle ne le laissa pas achever. Brusquement, elle parla avec une révolte et une répulsion extraordinaires.

— Non, non, je ne veux pas… Que me conseillez-vous là, mon ami !… Jamais, entendez-vous, jamais !

Tout son cœur se soulevait, elle était effrayée elle-même de la violence de son refus. La proposition du prêtre venait de remuer en elle ce coin obscur, où elle évitait de lire ; et, à la douleur qu’elle éprouvait, elle comprenait enfin la gravité de son mal, elle avait l’effarement de pudeur d’une femme qui sent glisser son dernier vêtement.

Alors, sous le regard clair et souriant du vieil abbé, elle se débattit.

— Mais je ne veux pas ! mais je n’aime personne !

Et, comme il la regardait toujours, elle crut qu’il lisait son mensonge sur sa face ; elle rougit et balbutia :

— Songez donc, j’ai quitté mon deuil il y a quinze jours… Non, ce n’est pas possible…

— Ma fille, dit tranquillement le prêtre, j’ai beaucoup réfléchi avant de parler. Je crois que votre bonheur est là… Calmez-vous. Vous ne ferez jamais que votre volonté.

L’entretien tomba. Hélène tâchait de contenir le flot de protestation qui montait à ses lèvres. Elle reprit son ouvrage, fit quelques points, la tête basse. Et, au milieu du silence, on entendit la voix flûtée de Jeanne qui disait, dans la salle à manger :

— On n’attelle pas une cocotte à une voiture, on at-