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UNE PAGE D’AMOUR.

la table de nuit, elle espérait encore un miracle de guérison. Maintenant, les fioles et les boîtes n’étaient plus là, sa dernière foi s’en allait. Elle n’avait plus qu’un instinct, être près de Jeanne, ne pas la quitter, la regarder. Le docteur, qui voulait l’enlever à cette contemplation affreuse, tâchait de l’éloigner, en la chargeant de petits soins. Mais elle revenait, attirée, avec le besoin physique de voir. Toute droite, les bras tombés, dans un désespoir qui lui gonflait le visage, elle attendait.

Vers une heure, l’abbé Jouve et M. Rambaud arrivèrent. Le médecin alla à leur rencontre, leur dit un mot. Tous deux pâlirent. Ils restèrent debout de saisissement ; et leurs mains tremblaient. Hélène ne s’était pas retournée.

La journée était superbe, une de ces après-midi ensoleillées des premiers jours d’avril. Jeanne, dans son lit, s’agitait. La soif qui la dévorait lui donnait par instants un petit mouvement pénible des lèvres. Elle avait sorti de la couverture ses pauvres mains transparentes, et elle les promenait doucement dans le vide. Le sourd travail du mal était terminé, elle ne toussait plus, sa voix éteinte ressemblait à un souffle. Depuis un moment, elle tournait la tête, elle cherchait des yeux la lumière. Le docteur Bodin ouvrit la fenêtre toute large. Alors, Jeanne ne s’agita plus et resta la joue contre l’oreiller, les regards sur Paris, avec sa respiration oppressée qui se ralentissait.

Pendant ces trois semaines de souffrances, bien des fois elle s’était ainsi tournée vers la ville étalée à l’horizon. Sa face devenait grave, elle songeait. À cette heure dernière, Paris souriait sous le blond soleil d’avril. Du dehors venaient des souffles tièdes, des rires d’enfants, des appels de moineaux. Et la mou-