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LES ROUGON-MACQUART.

rante mettait ses forces suprêmes à voir encore, à suivre les fumées volantes qui montaient des faubourgs lointains. Elle retrouvait ses trois connaissances, les Invalides, le Panthéon, la tour Saint-Jacques ; puis, l’inconnu commençait, ses paupières lasses se fermaient à demi, devant la mer immense des toitures. Peut-être rêvait-elle qu’elle était peu à peu très-légère, qu’elle s’envolait comme un oiseau. Enfin, elle allait donc savoir, elle se poserait sur les dômes et sur les flèches, elle verrait, en sept ou huit coups d’aile, les choses défendues que l’on cache aux enfants. Mais une inquiétude nouvelle l’agita, ses mains cherchaient encore ; et elle ne se calma que lorsqu’elle tint sa grande poupée dans ses petits bras, contre sa poitrine. Elle voulait l’emporter avec elle. Ses regards se perdaient au loin, parmi les cheminées toutes roses de soleil.

Quatre heures venaient de sonner, le soir laissait déjà tomber ses ombres bleues. C’était la fin, un étouffement, une agonie lente et sans secousse. Le cher ange n’avait plus la force de se défendre. M. Rambaud, vaincu, s’abattit sur les genoux, secoué de sanglots silencieux, se traînant derrière un rideau pour cacher sa douleur. L’abbé s’était agenouillé au chevet, les mains jointes, balbutiant les prières des agonisants.

— Jeanne, Jeanne, murmura Hélène, glacée d’une horreur qui lui soufflait un grand froid dans les cheveux.

Elle avait repoussé le docteur, elle se jeta par terre, s’appuya contre le lit pour voir sa fille de tout près. Jeanne ouvrit les yeux, mais elle ne regarda pas sa mère. Ses regards, toujours, allaient là-bas, sur Paris qui s’effaçait. Elle serra davantage sa poupée, son