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haute vigueur de son génie, et celle où la fortune, prête à le trahir, l’avait élevé au comble de la gloire et de l’influencé. Ami du vainqueur de l’Orient, qui s’honorait de son amitié plus qu’il ne croyait l’honorer de ses bienfaits, il servait, en quelque sorte, de médiateur entre lui et les Grecs. Une telle position avait fait taire l’envie même à Athènes, et le bonheur domestique venait ajouter ses charmes à toutes les douceurs de l’ambition satisfaite. Aristote avait perdu en Macédoine son épouse Pythias ; mais elle lui avait laissé une fille du même nom, qu’il élevait dans la pensée de l’unir à son fils adoptif Nicanor. Il avait eu de plus, d’une certaine Herpyllis de Stagire, esclave de sa femme, qui était devenue sa concubine après la mort de celle-ci, un fils appelé Nicomachus. Tout lui eût succédé jusqu’à la fin de ses jours, sans le changement qui s’opéra dans les dispositions d’Alexandre à son égard, quand le héros philosophe, amant de la science et des vertus grecques, eut fait place, par degrés, au monarque asiatique, ivre de puissance et de voluptés. La franchise téméraire de Callisthène le parent et le protégé d’Aristote, et le traitement barbare dont elle fut suivie, achevèrent de rompre la bonne harmonie entre l’élève et le maître. On cite une lettre menaçante, écrite par Alexandre à Antipater, au sujet de la conspiration où Callisthène fut impliqué, lettre dans laquelle Aristote était clairement désigné comme le fauteur des ennemis du roi. Il était naturel que, de son côté, Aristote vit, avec une profonde douleur, son ouvrage détruit par les séductions de la fortune et les corruptions de la flatterie ; qu’il apprit avec indignation les cruautés exercées jusque sur l’un des siens par Alexandre livré à l’emportement de ses passions ; mais vouloir que, dès ce moment, Alexandre ait nourri contre son ancien maître de sinistres projets, vouloir que celui-ci les ait prévenus ou du moins ait cherché à les prévenir en s’associant à un complot contre les jours de son élève, c’est méconnaître à la fois le caractère de l’un et de l’autre, c’est souiller gratuitement deux grandes renommées. Il n’est nullement certain qu’Alexandre soit mort par le poison (voy. l’art. ALEXANDRE) ; mais quand cela serait, le rôle que l’on attribue à Aristote dans cette trame est une fable ridicule qu’il faut renvoyer, malgré l’autorité de Pline, aux légendes de la magie. Rien ne prouve, d’ailleurs, que dans les six années qui s’écoulèrent entre la mort de Callisthène et celle d’Alexandre, le refroidissement réciproque du maître et de l’élève ait été en croissant et qu’il ait dégénéré en une rupture ouverte, en une inimitié déclarée. La tranquillité dont Aristote ne cessa pas de jouir à Athènes, tant que vécut Alexandre, et les persécutions auxquelles il se vit en butte dès que la fin de ce héros fut connue, démontrent que les Athéniens ne s’y trompaient pas, et qu’Aristote, loin d’être pour la Grèce un libérateur, était toujours à leurs yeux le favori du Macédonien.

En effet, les ennemis du philosophe, les envieux que lui avaient attirés en grand nombre et sa haute fortune et la supériorité de son génie, long-temps réduits à l’impuissance par la peur, ne tardèrent pas à profiter des circonstances pour donner carrière à leur haine contre lui. De toutes les armes, choisissant la plus dangereuse à Athènes, ils réchauffèrent cette vieille inculpation d’impiété déjà funeste à plus d’un sage. L’hiérophante Eurymédon poussa un citoyen considéré, nommé Démophile à se porter l’accusateur d’Aristote, parce que, disait-on, il avait osé décerner les honneurs divins à Hermias, son ami et à sa femme Pythias. Sans doute aussi que certaines opinions professées dans ses livres ou dans ses cours, concernant les dogmes et les pratiques de la religion positive, donnaient à l’accusation un plus sérieux prétexte. Quoi qu’il en soit, Aristote, peu jaloux de renouveler dans sa personne l’exemple de Socrate, et voulant (ce sont ses expressions) épargner aux Athéniens un second attentat contre la philosophie, prit le parti de se réfugier à Chalcis, en Eubée sous l’abri de l’influence macédonienne qui y dominait. Ses disciples l’y suivirent et il y continua ses leçons mais ce ne fut pas pour longtemps. Atteint d’une maladie chronique de l’estomac, épuisé d’ailleurs par ses