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CHA CHA

Après un certain temps, on retire les châtaignes du pot ; on a soin sur-tout qu’elles n’y restent pas assez long-temps pour y contracter un goût de brûlé, en s’attachant trop à ses parois intérieures : celles qui touchent à ces parois, sont les plus recherchées par les friands, parce qu’elles sont plus rissollées, & que la partie sucrée y est développée autant qu’il convient ; & par une raison contraire, celles qui sont au centre du pot sont moins bonnes, & se grumelent faute d’avoir acquis, par une dessiccation suffisante, une consistance égale. Au reste, il n’est question ici que de foibles nuances dans les différens degrés de bonté : on met les unes & les autres sur un petit panier plat ; on les couvre d’un linge plié en trois ou quatre doubles, de manière à laisser des ouvertures pour qu’on puisse les prendre à mesure qu’on les mange.

Ce mets, préparé par tous ces procédés simples, qui développient les principes nutritifs des châtaignes sans les altérer, est destiné particulièrement pour le déjeuner des métayers & de leurs domestiques, &c. & c’est un spectacle fort agréable de voir tous ces gens rassemblés autour d’un panier ainsi chargé de châtaignes & couvert d’un linge ; le silence qui règne parmi tous ceux qui partagent ce déjeuné ; l’attention avec laquelle chacun d’eux tire les châtaignes de dessous le linge, en choisissant les plus rondes, comme les meilleures. Je me souviens avec plaisir d’avoir été quelquefois un des acteurs.

Cette préparation des châtaignes a plusieurs avantages. Le premier consiste à présenter les châtaignes dégagées de leurs peaux, & dans un état où il est plus aisé de les manger. Le déjeûné dont on a parlé, servi en châtaignes cuites & revêtues de leurs peaux, dureroit une heure & demie ou deux heures ; au lieu qu’il est terminé en un quart d’heure. C’est une grande épargne de temps. En second lieu, si l’on mangeoit les châtaignes cuites avec leurs peaux, on auroit beaucoup de déchet par la perte des parties de la châtaigne qui resteroient adhérentes à la peau ; ainsi l’on doit sentir, d’après ces deux considérations, pourquoi on adopte généralement cette méthode dans les provinces où la consommation des châtaignes est confidérable.

Il est encore d’autres avantages qui méritent d’être rappelés ici. Par ces procédés, on dépouille exactement la substance des châtaignes de la partie extractive amère dont elle est chargée ; & ce qui est également précieux, on développe en même raison la saveur sucrée de cette substance ; ce qui en fait une nourriture aussi saine qu’agréable. Quoique l’eau dans laquelle on a préparé les châtaignes soit amère, cependant on la met en réserve avec le tan & quelques petits débris de la substance farineuse de la châtaigne qui s’en détachent lors des opérations du déboiradour & du grelou, & on la donne aux porcs qu’on engraisse. Ils en sont fort friands ; & l’on croit généralement que le lard de ceux auxquels on en donne régulièrement pendant quelques mois, acquiert un bon goût, sur-tout lonqu’on ajoute à ces lavures une petite quantité de châtaignes entières.

Art. III. Méthode abrégée de préparer & de faire cuire une petite quantité de châtaignes en vert ; & inconvéniens des autres méthodes usitées dans certaines provinces.

En donnant la méthode abrégée de faire cuire une petite quantité de châtaignes fraîches, j’ai pour but, non seulement d’être utile à ceux qui seront dans le cas d’en faire usage, mais encore de rapprocher les procédés essentiels de cette opération, afin d’en montrer la suite & les rapports.

Quand on veut faire cuire une petite quantité de châtaignes fraîches, on commence par enlever avec un couteau leur écorce extérieure ; après quoi on les met dans un pot de fonte de fer, d’une capacité proportionnée à cette quantité de châtaignes. On évite de se servir d’un pot de terre, qui contracteroit un mauvais goût, & le communiqueroit aux châtaignes. On emplit le pot de châtaignes pelées à environ deux pouces du bord, & on y verse par dessus toute l’eau qui peut y tenir. On met ensuite le pot sur le feu, & on l’y laisse jusqu’à ce que l’eau frémisse, & encore mieux jusqu’à ce que la pellicule intérieure, encore adhérente aux châtaignes, soit suffisamment ramollie pour s’en détacher. On s’en assure en retirant du pot quelques châtaignes avec une écumoire ; & lorsque la pellicule s’enlève aisément ou avec les doigts, ou avec un couteau, on écarte le pot du feu ; on en retire successivement les châtaignes, qu’on dépouille à mesure de leur pellicule, & on les jette dans un vase plein d’eau fraîche. Après qu’on les a lavées, on les remet dans le pot qu’on a eu soin de vider & de rincer, pour qu’il n’y reste aucun goût de l’eau extractive amère. On le remplit d’eau, ou fraîche ou chaude, dans laquelle on fait fondre un peu de sel.

Le pot reste sur le feu jusqu’à ce que l’eau ait commencé à bouillir ; c’est alors qu’il faut le retirer & verser par inclinaison toute l’eau dans laquelle les châtaignes ont commencé à cuire. Les châtaignes qui sont restées dans le pot à sec, se recouvrent aussitôt avec du vieux linge qu’on arrange de manière qu’il ne reste à la vapeur aucune issue, & on assujettit le tout par le moyen du couvercle : on approche le pot du feu, & on le retourne de temps en temps ; c’est ainsi que les châtaignes achèvent de cuire également par-tout, en se rendant & se rissollant, sans rôtir ni brûler.

L’opération de faire cuire la châtaigne en vert, suivant la méthode décrite ci-dessus, se répète exastement chaque jour, depuis la fin d’octobre jusqu’au mois de mai, dans tous les ménages des villes comme de la campagne, chez les personnes aisées comme chez les pauvres, & cela dans plusieurs provinces de France. C’est ainsi que sont préparées celles qui se débitent aux marchés, qui se promènent & se crient dans les rues des principales villes