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Il y a dans les montagnes de Padoue, dit Palladio, une espèce de pierre écaillée, dont la chaux est excellente pour les ouvrages aquatiques & hors de terre, parce qu’elle prend vîte & s’endurcit promptement.

Vitruve nous assure que celle que l’on fait avec des pierres dures & spongieuses, est bonne pour les enduits & crépis ; que les pierres poreuses font la chaux tendre, les pierres échauffées font la chaux fragile, les pierres humides font la chaux tenace, & les pierres terreuses font la chaux dure : celle qui est faite avec la pierre de marne, quoique des plus tendres, est néanmoins fort bonne.

Philibert Delorme conseille de faire la chaux avec les mêmes pierres dont on bâtit, parce qu’étant homogènes, dit-il, leurs liaisons se font mieux.

On fait cuire la chaux avec du bois ou du charbon de terre. Ce dernier, plus ardent, a beaucoup plus d’action, cuit plus promptement, & la chaux en est plus grasse & plus onctueuse.

Les fours à chaux sont ordinairement situés & construits au pied & dans l’épaisseur des terrasses. On les fait de différentes formes, mais le plus souvent circulaires, d’environ neuf à dix pieds de diamètre, & de la forme d’un œuf, dont la pointe faisant le sommet, est ouverte pour donner issue à la fumée. On y arrange la pierre à cuire, d’abord en voûte, pour contenir le bois, observant de placer près du foyer les plus grosses, les premières ; ensuite les moyennes ; & après, les petites.

On élève ainsi jusqu’au sommet ; on bouche l’ouverture, & on met le feu, que l’on entretient pendant trente ou trente-six heures que doit durer la cuisson : les fours où l’on emploie le charbon de terre, & même quelques-uns de ceux où l’on emploie le bois, ont leurs foyers percés & évidés par dessous, couverts d’une grille de fer, pour donner de l’air & souffler le feu.

La pierre étant cuite, on la laisse refroidir pour la transporter aux ateliers.

La chaux se vend à Paris 48 à 50 livres le muid de quarante-huit pieds cubes, rendue aux ateliers.

Manière d’éteindre la Chaux.

La qualité de la pierre & sa cuisson contribuent beaucoup à la bonté de la chaux ; mais la manière de l’éteindre peut la lui faire perdre entièrement, si l’on ne prend toutes les précautions nécessaires.

Anciennement on éteignoit la chaux dans les bassins creusés en terre. Après y avoir déposé les pierres cuites, on les couvrait de deux pieds d’épaisseur de sable ; on les arrosoit d’eau, & on les entretenoit abreuvées de manière que la chaux se dissolvoit sans se brûler. S’il se faisoit des ouvertures, on avoit soin de les remplir de nouveau sable, afin que la chaleur demeurât concentrée. Une fois éteinte, on la laissoit deux ou trois ans sans l’employer : cette matière, après ce temps, se convertissoit en une masse semblable à la glaise, mais très-blanche, grasse & glutineuse, au point qu’on n’en pouvoit tirer le rabot qu’avec beaucoup de peine ; ce qui faisoit un mortier d’un excellent usage.

La manière actuelle d’éteindre la chaux, est de la déposer dans un bassin plat d’environ deux pieds de profondeur, rempli d’eau, & de l’y remuer à force de bras & de rabot, jusqu’à ce qu’elle soit bien délayée.

Il faut observer plusieurs choses essentielles : 1°. que le bassin d’extinction ait une ou deux rigoles, communiquant à un ou deux bassins de provision au dessous, & creusés en terre d’environ six, huit ou dix pieds de profondeur, destinés à recevoir la chaux à mesure qu’elle est éteinte ; 2°. que le fond du bassin d’extinction soit plus bas de quelques pouces que celui de la rigole, afin que les corps étrangers s’y déposant, ne puissent couler dans le bassin de provision ; 3°. de faire beaucoup d’attention à la quantité d’eau nécessaire : trop la noie & diminue sa force ; trop peu la brûle, dissout ses parties, & la réduit en cendres.

Toutes les eaux ne sont pas propres à éteindre la chaux.

L’eau bourbeuse & croupie est fort mauvaise, étant composée d’une infinité de corps étrangers, capables d’en diminuer la force.

L’eau de la mer, suivant quelques-uns, n’est pas bonne ou l’est très-peu, parce qu’étant salée, le mortier fait de cette chaux est difficile à sécher ; suivant d’autres, elle fait de bon mortier lorsque la chaux est forte & grasse : on l’emploie aussi avec succès à Dieppe & presque dans tous les ports de France.

L’on trouve assez souvent au fond du bassin, des parties dures & pierreuses, qu’on appelle biscuits : ce sont des pierres mal cuites, qu’il faut mettre à part, & dont le marchand doit tenir compte.

La chaux une fois éteinte, on la laisse refroidir quelques jours, après lesquels on peut l’employer. Quelques-uns prétendent que c’est-là le temps de la mettre en oeuvre, parce que ses sels n’ayant pas eu encore le temps de s’évaporer, elle en est par conséquent meilleure.

Cependant, si l’on juge à propos de la conserver, il faut la couvrir d’un pied ou dix-huit pouces d’épaisseur de bon sable ; alors elle peut se garder trois ou quatre ans sans perdre de sa qualité.

Vitruve & Palladio prétendent que la chaux gardée long-temps dans le bassin, est infiniment meilleure ; & leur raison est que, s’il se trouve des pierres moins cuites ou moins éteintes, elles ont eu le temps de s’éteindre & de se détremper comme les autres, à l’exception néanmoins de celle de Padoue, ajoute ce dernier, qui, lorsqu’elle est gardée, se brûle & se réduit en poussière.

Celle qui est faite avec la marne de Senonches au Perche, durcit fort promptement, même dans le bassin, lorsqu’elle y séjourne quelque temps : le

Arts & Métiers. Tome IV. Partie I.
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