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nus grains à proportion, la récolte de trois années produiroit, suivant l’ancienne culture 88 liv. la dépense va à 45 livres, ainsi resteroient pour le fermage, le profit du cultivateur & les impôts, 43 liv. sans compter le profit des bestiaux ; c’est-à-dire que les impôts étant à 3 s. pour livre, pour que l’arpent fût affermé 7 liv. 10 s. par an, il faudroit que le cultivateur se contentât par an de 36 s. de bénéfice & du profit des bestiaux. Comme, d’un autre côté, il est beaucoup de terres capables de produire du froment, qui exigeront plus de 45 liv. de dépense par arpent en trois années, & qui rapporteront moins de 88 l. même dans les bonnes moissons, il s’ensuit évidemment qu’il est à souhaiter que jamais le froment ne soit acheté au-dessous de 14 liv. le septier, lorsque l’impôt sur les terres est à 3 sols pour livre, & ainsi de suite ; sans quoi l’équilibre de cette profession avec les autres sera anéanti, beaucoup de terres resteront en friche, & beaucoup d’hommes sans subsistance. La concurrence intérieure & extérieure des acheteurs bien combinée, est seule capable de garantir les grains de cet avilissement, tandis qu’elle conservera aux autres ouvriers l’espérance de ne jamais payer le froment, dans les temps de rareté, au-dessus de 21 à 22 liv. le septier : car à la demi-année de subsistance d’avance que nous avons trouvée devoir exister dans le royaume quand le froment est à 16 liv. 5 s. le septier, il faut ajouter l’accroissement naturel des récoltes, lorsqu’une fois le laboureur sera assuré d’y trouver du bénéfice. Aussi je me persuade que si jamais on avoit fait pendant sept à huit ans l’expérience heureuse de cette méthode, il seroit indispensable, pour achever d’établir la proportion entre tous les salaires, d’étendre la permission des exportations jusqu’au prix de 18 & même 19 l. Également si la France, fait un commerce annuel de deux cents millions, & qu’elle en gagne vingt-cinq par la balance, il est clair que dans quarante ans il faudroit, indépendamment des réductions d’intérêt de l’argent, étendre encore de quelque chose la permission d’exporter les grains, ou bien la classe du laboureur seroit moins heureuse que les autres.

Au prix que nous venons de proposer, l’état n’auroit pas besoin de donner des gratifications pour l’exportation, puisque leur objet principal est de mettre les négocians en état de vendre en concurrence dans les marchés étrangers ; mais il seroit très-convenable de restreindre la faculté de l’exportation des grains aux seuls vaisseaux françois, & construits en France. Ces prix sont si bas, que la cherté de notre fret ne nuiroit point à l’exportation ; & pour diminuer le prix du fret, ce qui est essentiel, les seuls moyens sont l’accroissement de la navigation & la diminution de l’intérêt de l’argent.

On objectera peut-être à ma dernière proposition que, dans le cas où les capitaux seroient rares dans le commerce, ce seroit priver le cultivateur de sa ressource.

Mais les capitaux ne peuvent désormais être rares dans le commerce, qu’à raison d’un discrédit public. Ce discrédit seroit occasionné par quelque vice intérieur : c’est où il faudroit nécessairement remonter. Dans ces circonstances funestes, la plus grande partie du peuple manque d’occupation ; il convient donc, pour conserver sa population, que la denrée de première nécessité soit à très-vil prix ; il est dans l’ordre de la justice qu’un désastre public soit supporté par tous. D’ailleurs si les uns resserrent leur argent, d’autres resserrent également leurs denrées : des exportations considérables réduiroient le peuple aux deux plus terribles extrémités à la fois, la cessation du travail & la cherté de la subsistance.

La réduction des prix de nos ports & de nos frontières sur les prix proposés, relativement aux poids & mesures de chaque lieu, est une opération très-facile, & encore plus avantageuse à l’état, par deux raisons.

1o. Afin d’égaler la condition de toutes les provinces, ce qui est juste.

2o. Afin d’éviter l’arbitraire presqu’inévitable autrement. Dès ce moment, l’égalité de condition cesserait entre les provinces ; on perdroit tout le fruit de la police, soit intérieure, soit extérieure, qui ne peuvent jamais se soutenir l’une sans l’autre.

À l’égard des grains venant de l’étranger, c’est une bonne police d’en prohiber l’importation pour favoriser ses terres : la prohibition peut toujours être levée, quand la nécessité l’ordonne. Nous n’avons point à craindre que les étrangers nous en refusent ; & si, par un événement extraordinaire au-dessus de toutes les loix humaines, l’état se trouvoit dans la disette, il peut se reposer de sa subsistance sur l’appas du gain & la concurrence de ses négocians. La circonstance seule d’une guerre, & d’une guerre malheureuse par mer, peut exiger que le gouvernement se charge en partie de ce soin.

Il ne seroit pas convenable cependant de priver l’état du commerce des grains étrangers, s’il présente quelque profit à ses navigateurs. Les ports francs sont destinés à faire au-dehors toutes les spéculations illicites au-dedans. Avec une attention médiocre il est très-facile d’arrêter dans leur enceinte toutes les denrées, qu’il seroit dangereux de communiquer au reste du peuple, sur-tout lorsqu’elles sont d’un volume aussi considérable que les grains. Il suffit de le vouloir, & de persuader à ceux qui sont chargés d’y veiller, qu’ils sont réellement payés pour cela.

Ainsi, en tout temps, on pourroit en sûreté laisser les négocians de Dunkerque, de Bayonne & de Marseille entretenir des greniers de grains du Nord, de Sicile ou d’Afrique, pour les réexporter en Italie, en Espagne, en Portugal, en