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celles que suivent les françois : on les trouve, ainsi que leurs motifs, & le parallèle des maximes françoises, dans un livre intitulé : Traité de la finance des romains. Cet ouvrage fut imprimé en 1740, à Paris, chez Briasson ; & l’auteur, qui a gardé l’anonyme, dit dans sa préface qu’il fut composé par ordre de M. de Colbert. Les voici :

» Les romains croyoient qu’il peut y avoir un commerce effectif entre la république & les citoyens, entre le public & le particulier, aussi bien pour les fonds que pour les revenus.

» Ils avoient éprouvé que, dans certaines conjonctures, l’état n’avoit pas moins besoin de vendre, que d’intérêt à acheter.

» Le retrait perpétuel étoit quelquefois stipulé dans les acquisitions de à particuliers ; mais jamais il ne l’étoit dans celles entre le fisc & les particuliers.

» Ils pensoient que vouloir perpétuer la propriété de certains fonds à un même maître, c’est aller contre la narure des choses ; que l’on peut vendre les choses consacrées aux dieux, à plus forte raison celles qui appartiennent au public.

Enfin ils étoient convaincus que le droit de retrait diminueroit le prix des acquisitions ».

L’auteur cite les écrivains qui ont parlé de cette matiere, & particulièrement Tite-Live, Tacite, Horace, Virgile, Appien & les loix romaines.

Malgré les sermens que nos rois font à leur sacre, malgré la loi promulguée en 1539 par François Ier, Louis XIV n’a-t-il pas exécuté en partie ce que je propose ? L’édit de 1695 a déclaré incommutables tous les domaines aliénés depuis l’ordonnance de 1566. La paix de Ryswick ayant mis Louis XIV en état de se passer de secours extraordinaires, il fit surseoir à l’exécution de cet édit ; mais les dépenses auxquelles il se trouva engagé pour soutenir les droits de son petit-fils à la couronne d’Espagne, l’obligèrent à recourir de nouveau à cet expédient ; &, par un édit du mois d’avril 1702, il déclara aliénables, à titre d’inféodation & de propriété incommutable, non-seulement les hautes-justices par démembremens des justices royales, mais encore toutes les parties du domaine connues sous le nom de petit domaine, qui consistent en cens, rentes, moulins, fours, pressoirs, halles, maisons, boutiques, échopes, terres vaines & vagues, landes, bruyères, palus, marais, bacqs, péages, chasses, pêches, bauvins dans les lieux où les aides n’ont pas cours ; &c. La plupart de ces biens & droits avoient déjà été reconnus aliénables à perpétuité & sans faculté de rachat, par déclaration du 8 avril 1672 ; l’édit de 1702 confirma en outre les possesseurs des domaines & droits aliénés, depuis l’année 1566, dans la jouissance perpétuelle & la propriété incommutable de ces domaines & droits.

On dira sans doute que Louis XIV consentit à l’aliénation perpétuelle & irrévocable de ces différentes parties, à cause de la modicité de chacune prise en particulier, & de l’entretien dispendieux qu’elles exigeoient ; qu’il n’en est pas de même pour les corps de terres & seigneuries : tels furent en effet les motifs qu’on allégua dans le temps.

Mais qu’est-ce que toutes les terres & seigneuries de la France, tant du roi que des particuliers ? En quoi consistent-elles ? en justices, châteaux, maisons, cens, rentes, moulins, fours, pressoirs, terres, prés, vignes, landes, bruyères, marais, étangs, bacqs, péages, passages, chasses, pêches, &c. c’est-à-dire, dans une réunion plus ou moins considérable de parties, qui forment ce qu’on appelle le petit domaine.

L’entretien & la régie de ce petit domaine est onéreuse ou peu utile, chacun en convient ; & il n’est pas difficile de prouver que le grand domaine est sujet aux mêmes inconvéniens : d’ailleurs, le tout est constamment & nécessairement assujetti au sort de ses parties intégrantes.

La loi fondamentale de l’état & le serment de nos Rois à leur sacre, ne permettent pas, ajoute-t-on, d’aliéner le domaine ; mais les parties, dont la déclaration de 1672 & les édits de 1695 & 1702 ont ordonné l’aliénation, à titre de propriété incommutable, n’appartenoient-elles pas au domaine de la couronne ? Y a-t-il, dans l’édit de François Ier de 1539, & le serment de nos rois à leur sacre, des exceptions qui autorisent la perpétuité des aliénations déjà faites ? Nullement. Ainsi, quant à la transgression de la loi & du serment, il ne doit pas subsister plus de difficultés pour l’un que l’on en a trouvé pour l’autre ; & à l’égard des motifs qui ont déterminé l’aliénation, ils ont la même valeur pour le grand que pour le petit domaine.

Quand une maxime a été adoptée par une nation entière, on ne doit pas la heurter de front ; la prudence exige que l’on opère insensiblement, & que l’on ménage jusqu’aux erreurs de la multitude : mais ceux qui tiennent les rênes du gouvernement n’ont jamais cru que cette considération fût assez puissante pour renoncer aux avantages d’un nouveau système. On voit, dans les Mémoires sur la vie de M. Turgot, que ce Ministre songeoit à l’exécution du projet dont nous parlons ici.

On a déjà fait les premiers pas vers l’aliénation perpétuelle du domaine, par les réglemens que je viens de citer : afin d’aller plus loin, il ne s’agit donc que de trouver un prétexte raisonnable ; & assurément les besoins de l’état, qui sont plus pressans qu’ils ne l’ont jamais été, en offrent un qui ne pourroit être désavoué de personne.

D’après l’état où se trouve aujourd’hui le domaine de la couronne, & l’embarras de nos finances, il paroît donc qu’il seroit avantageux, 1o. de vendre ce domaine non encore aliéné ; 2o. de stipuler cette vente perpétuelle, plutôt que reversible, en réservant tel nombre de forêts,