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moi de gouverner cet empire, non-seulement d’une manière absolue, mais de quelque manière que ce soit ; aussi en ai-je apperçu l’ébranlement qui auroit été suivi de sa ruine totale, & m’auroit couvert d’une honte éternelle. Après avoir donc mûrement réfléchi, je déclare, sans aucune contrainte & solemnellement, à l’empire de Russie & à tout l’univers, que je renonce pour toute ma vie au gouvernement dudit empire, que je ne souhaite plus d’y régner, & que je n’essayerai jamais d’y reprendre le sceptre. J’en fais le serment sincère devant Dieu & tout l’univers, & j’écris & signe cette renonciation de ma propre main, ce 29 juin 1762. Pierre.

« C’est ainsi, graces à Dieu, que nous sommes montés sur le trône de l’empire de Russie, sans qu’il y ait eu une goutte de sang répandu. En adorant les décrets de la providence divine, nous assurons très-gracieusement tous nos fidèles sujets que nous ne manquerons pas d’invoquer jour & nuit le Tout-puissant, afin qu’il bénisse notre sceptre, &c, &c. » (La fin de ce manifeste ne contient que des protestations de zèle & d’attachement en faveur de la Russie, & il n’est pas besoin de la rapporter.) À Saint-Petersbourg (le 6 juillet vieil style) 1762.

L’impératrice fit publier ce manifeste à Saint-Petersbourg, à Moscow, & dans les principales villes de la Russie. Elle en fit passer en même-temps des copies aux généraux des différens corps de l’armée, & à ses ambassadeurs & ministres dans les cours de l’Europe.

Abdication de la patrie. Voyez le Dictionnaire de Jurisprudence.

ABJURATION, s. f. (serment d’abjuration en Angleterre.) Le serment d’abjuration a été inventé après l’expulsion de la famille royale des Stuard ; on donne ce nom à la promesse qu’on exige de tout Anglois, par laquelle il s’oblige de ne reconnoître aucune autorité royale dans la personne du prince qu’on appelle le prétendant, & de ne lui jamais rendre l’obéissance qu’un sujet doit à son souverain. Voyez le Dictionnaire de Jurisprudence.

ABOLITION, s. f. c’est en général l’action par laquelle on détruit une chose.

Le mot d’abolition peut se considérer sous deux rapports ; 1o. à l’égard des loix, des coutumes & des usages ; 2o. à l’égard des crimes.

À parler strictement, abolir se dit plutôt des coutumes & usages que des loix, pour lesquels on se sert du mot abroger : le non usage suffit pour l’abolition, mais il faut un acte positif pour l’abrogation.

On trouvera dans le Dictionnaire de Jurisprud. ce qui regarde l’abolition des crimes ; nous ne parlons ici que de l’abolition des usages & des loix.

Les peuples seroient bien à plaindre, si, après avoir fait des loix pour le bien commun de la société, ils ne pouvoient pas les réformer ou les abolir ; lorsque, par le changement des circonstances & d’autres causes, soit physiques ou morales, elles sont devenues plus nuisibles qu’avantageuscs. La puissance législative n’est point infaillible ; elle ne peut ni tout prévoir, ni tout combiner. Il est des événemens dans l’avenir qui échappent à l’homme le plus sage & le plus pénétrant. Quel est l’esprit assez vaste pour embrasser tous les détails, tous les cas particuliers qui peuvent rendre une loi générale plus ou moins utile ? L’immensité des objets que présente l’administration, & la bizarrerie des révolutions que le temps ne manque guères d’amener dans les corps politiques, doivent inspirer de l’indulgence sur les méprises du législateur le plus éclairé. Des rapports quelquefois imperceptibles, des abus moralement inévitables dans l’exécution des meilleures loix, produisent des effets qu’il étoit comme impossible d’imaginer ; sous le prétexte d’une constance inébranlable, faut-il alors laisser subsister le mal ? & substituer une grandeur imaginaire à la vérirable majesté, l’orgueil à la dignité, l’opiniâtreté à la droiture ?

L’expérience démontre tous les jours que des loix & des coutumes, utiles dans leur établissement, deviennent ensuite très-funestes à l’état. Mais souvent on n’ose les abolir, par la crainte de soulever les peuples qui ne manquent guères de prendre la pratique de certaines actions pour la vertu même, & de révérer les usages reçus de leurs pères. Il importe sans doute au législateur de prendre tous les moyens propres à affoiblir cette trop grande vénération des peuples ; mais il est de son devoir de détruire les abus.

Lorsque les intérêts d’un état sont changés, & que ses loix lui sont devenues nuisibles, ces lois trop respectées accélèrent la ruine de la nation. La destruction de la république romaine fut l’effet d’une ridicule vénération pour d’anciennes loix ; c’est par cet aveugle respect que César imposa le joug de la servitude à sa patrie. Après la destruction de Carthage, les romains, parvenus au faîte de Ia grandeur, devoient appercevoir l’opposition qui se trouvoit entre leurs intérêts, leurs mœurs & leurs loix ; ils devoient sentir qu’une révolution menaçoit leur empire. Pour sauver l’état, ils devoient se hâter de faire, dans les loix & le gouvernement, la réforme qu’exigeoient le temps & les circonstances. Les mêmes loix qui les avoient portés au dernier dégré d’élévation, ne pouvoient les y soutenir ; un empire est comparable au vaisseau que certains vents ont élevé à une certaine hauteur où, repris par d’autres vents, il est en danger de périr, si le pilote habile & prudent ne change promptement de manœvre : Locke a connu cette vérité politique lors de l’établissement de sa législation à la Caroline ; il voulut que ses loix n’eussent de force que pendant un siècle ; que, ce temps expiré, elles devinssent nulles, si elles n’étoient de nouveau examinées & confirmées par