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par la liberté augmente les richesses & la force des empires. Mais, parmi les nations agricoles, il n’en est de vraiment heureuses que celles dont les souverains s’occupent sans cesse à faire jouir leurs sujets de tous leurs droits d’hommes & de citoyens, & qui ne contrarient point, par des loix arbitraires, les loix de la nature & de la justice par essence, base du code social. C’est sur-tout chez ces nations qu’on peut trouver le rapport de la population aux subsistances, & s’assurer, par leur population comparée à celle des peuples sauvages, de l’avantage inestimable qu’il y a pour l’homme de vivre en société & dans une société qui, prospérant sous les loix de l’ordre, fait jouir tous ses membres d’une heureuse abondance.

Comme le produit d’un terrein inculte est au produit d’un terrein cultivé, de même le nombre des sauvages dans un pays est au nombre des laboureurs dans un autre ; & quand le peuple qui cultive les terres, cultive aussi les arts, le nombre des sauvages est au nombre de ce peuple, en raison composée du nombre des sauvages à celui des laboureurs, & du nombre des laboureurs à celui des hommes qui cultivent les arts.

La population suit donc nécessairement les moyens de subsister, & plus ces moyens sont faciles & sûrs, plus la population augmente ; mais il n’appartient qu’aux peuples agricoles d’être dans l’abondance de toutes choses. Si, bien gouvernés & laborieux, ils joignent à la culture de la terre le soin & la nourriture des bestiaux dont les profits continuels & journaliers s’accumulent avec le profit annuel des récoltes, ils ne sauroient manquer d’atteindre à cette abondance & de jouir de tout le bonheur que peut donner la vie sociale (G).

ABROGATION, s. f. action par laquelle on révoque ou annulle une loi.

L’abrogation diffère de la dérogation, en ce que la loi dérogeante ne donne atteinte qu’indirectement à la loi antérieure, & dans les points seulement où l’un & l’autre seroient incompatibles, au lieu que la loi abrogeante détruit expressément une loi antérieure. Le Dictionnaire de Jurisprudence a déja traité cet article ; mais comme il a parlé surtout de l’abrogation des loix civiles, nous allons parler ici de l’abrogation des loix politiques, des loix constitutives ou fondamentales ; de celles qui forment le droit public d’une nation, qui règlent la distribution du pouvoir, les différens degrés d’autorité des princes & des magistrats, ainsi que les devoirs & les droits du peuple. Quoique ces loix soient appellées constitutives ou fondamentales, il n’est pas nécessaire qu’elles aient existé dans le principe, ou dès la première formation de l’état ; il suffit qu’elles soient la base actuelle de la constitution, ou de l’une de ses parties. Ces loix peuvent n’être pas écrites. Des usages anciens, autorisés par une exécution constante, acquièrent force de loi, lorsque le consentement général & opinion commune les ont fixés comme des points de règle.

Philippe de Valois monta sur le trône de France, en vertu d’une coutume à laquelle son ancienneté & le vœu général de la nation donnoient plus d’autorité que si elle eût été écrite parmi les loix saliques ; & c’est par elle que ce royaume est parvenu jusqu’au roi régnant.

Les loix fondamentales sont immuables par leur nature, c’est-à-dire, qu’elles sont au-dessus de l’autorité des princes & des magistrats, puisque c’est d’elles que les princes & les magistrats tiennent leur pouvoir. Le monarque ne peut les abroger ; elles sont annexées à sa couronne. Il doit la rendre telle qu’il l’a reçue. S’il se dégrade en souffrant la diminution de ses droits sans s’y opposer, il ne peut les augmenter sans faire tort à ses peuples. Un monarque n’a point le droit de transformer une monarchie en un état despotique. Charles VI ne fut pas le maître de priver sa postérité masculine de sa succession. Lors même que les rois jouissent de toute l’autorité de la nation, il est toujours vrai que jouir n’est pas posséder ; c’est un usufruit qui ne permet pas de dénaturer.

Ces principes ne sont pas moins incontestables dans l’aristocratie ; toutes les fois que les magistrats y ont voulu toucher à quelque loi constitutive, ils ont jetté l’alarme & le désordre parmi les sujets.

De nouvelles circonstances, un grand changement dans les mœurs, des révolutions dans les mœurs & le local du pays peuvent rendre mauvaises les loix fondamentales. Alors sans doute l’utilité publique exige qu’on les abroge. Si la constitution se trouve vicieuse, il est juste de la réformer. Mais il est juste aussi d’appeller la nation à ces changemens, ou plutôt elle a seule le droit de les faire ; ils ne seront légitimes que lorsqu’elle les aura adoptés librement. Un exemple fera sentir la vérité de ces principes.

Quand Lycurgue forma la constitution de Lacédémone, il établit un sénat indépendant, dont le premier objet étoit de balancer le pouvoir des rois & la liberté des citoyens. On s’apperçut ensuite, que l’autorité de ce corps & celle des rois opprimoient le peuple, & on créa les éphores. Cet arrangement duroit depuis cinq cents ans, lorsque Cléomene, sous le prétexte d’une réforme générale, entreprit de ramener la république aux institutions primitives de Lycurgue : il détruisit les éphores, & il abrogea une loi devenue constitutive & sacrée par le laps du temps. Comme il n’avoit pas consulté la nation sur ce changement, il régna en despote ; il fut le dernier des rois de Sparte, & la république fut détruite.

L’entêtement des législateurs est un des plus grands maux qui affligent les états. Ils oublient qu’il est beau de réparer solemnellement une faute ; que des monarques dont l’histoire prononce le