Page:Encyclopédie méthodique - Economie politique, T01.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des denrées sur le bien-être général de la société.

Mais une autre source de revenus, & qui, jointe à la première, porte l’abondance à son dernier terme, c’est le nourrissage des bestiaux qu’on peut appeller après Sully la seconde mamelle de l’état. Séparée de l’agriculture, elle ne peut suffire qu’à des peuples errans & peu nombreux ; mais l’agriculture ne peut rien sans elle, car les animaux sont les vrais mobiles de l’agriculture. Sans leur secours, l’homme isolé pourroit-il solliciter puissamment la terre ? Pourroit-il entreprendre les grands travaux qu’elle exige ? Auroit-il de quoi la ranimer lorsqu’elle est épuisée par ses productions ? Le nourrissage des bestiaux mérite donc aussi l’attention vigilante du gouvernement, & soit qu’on le considère comme le véhicule de l’agriculture, soit qu’on le regarde lui-même comme producteur de subsistances & de matières premières de main d’œuvre nécessaires à nombre de fabriques, il demande, pour être profitable, la même protection que l’agriculture.

Si le gouvernement a le soin de ne point mettre d’impôts sur les bestiaux ; (car la terre qui les nourrit, étant déjà taxée, c’est, en taxant les bestiaux, doubler l’impôt sur le même produit) s’il ne touche point aux avances de ceux qui les élèvent ; s’il donne à ceux qui en font commerce la liberté dont ils doivent jouir ; s’il n’assujettit point inconsidéremment la viande, les cuirs, les laines, &c. à des droits qui en diminuent la production & la consommation, les troupeaux & les engrais se multiplieront prodigieusement, les travaux seront plus faciles & les terres bien plus fécondes, la masse de subsistances augmentera, ainsi que celle des matières premières de main d’œuvre, & l’impôt, pris à sa base & sans être nuisible, suivra la progression des revenus. Enfin de ces deux sources d’abondance, l’agriculture & le nourrissage des bestiaux, sortirons de nouvelles jouissances pour les citoyens consommateurs, l’accroissement rapide de la population, les progrès des arts & des sciences, en un mot la gloire & la puissance de l’état.

Je dis les progrès des arts & des sciences, parce qu’en effet, dans un état ou l’abondance assure du repos & des loisirs à une grande partie des citoyens, l’esprit de l’homme, tranquille sur les moyens de se procurer le nécessaire & même le superflu, cédant au sentiment de sa noble origine, à son activité naturelle & à l’essor qui le porte vers le grand & le sublime, cherche à s’élever par la contemplation & par l’étude à la connoissance de la vérité, & s’efforce de multiplier, par ses découvertes, ses jouissances & ses plaisirs ; de là l’invention & la perfection des arts & des sciences, qui sont le charme de la société, l’honneur de l’esprit humain & le bonheur du monde.

La félicité publique s’augmente ainsi en raison des efforts que font tous les membres de la société pour concourir au même but, & profiter de cette abondance de l’état qui est le fruit du travail. C’est alors que le luxe de consommation devient véritablement utile & contribue à entretenir la joie & la santé parmi les hommes, à la différence de ce luxe destructeur, qui consiste dans une somptuosité d’ostentation, & qui avilissant l’agriculture, en dévore la substance à pure perte.

On distingue trois sortes de peuples, les peuples chasseurs, les pasteurs, les agricoles. Les premiers ne peuvent jamais être dans l’abondance. La vie errante qu’ils mènent, & qui a des charmes pour eux, l’horreur du travail qui leur est comme naturelle, la paresse & l’ignorance qui en sont la suite, enfin les guerres atroces qu’ils se font les privent de la protection des lois, des soins du gouvernement & des douceurs de l’union sociale. Ils sont naturellement sauvages : sans précaution pour l’avenir, ils subsistent comme ils peuvent ; aussi leur existence est précaire & leur bonheur presque nul. La population se mesurant par-tout aux moyens des subsistances, on sent que la population de ces peuples, réduite au plus petit nombre possible, ne sauroit faire des progrès. Les produits d’une chasse, sans cesse renouvellée dans les mêmes cantons, doivent y rendre le gibier plus rare, & forcer fréquemment les chasseurs à courir au loin, & à se transporter dans de nouveaux cantons moins dévastés par la chasse. Il faut une étendue immense de terrein pour la nourriture d’un petit nombre d’hommes, & une peuplade d’une centaine de cabanes vit à peine, où des millions de familles trouveroient à se nourrir.

Les peuples pasteurs purement nomades qui ne cultivent pas la terre, ne multiplient & ne subsistent sur un terrein qu’en raison de la pâture qu’il fournit à leurs troupeaux. Ils sont plus nombreux que les peuples chasseurs, parce que leur subsistance est plus assurée, & qu’à nombre égal il ne leur faut point une aussi vaste étendue de pays pour se nourrir ; toutefois ils ne connoissent point les charmes de l’abondance, & ne forment point une grande & puissante nation ; ils ont besoin d’une trop grande étendue de terre pour subsister en grand nombre. Différentes hordes de pasteurs peuvent bien se réunir pour quelque temps comme les tartares d’Asie ; mais l’impossibilité de faire subsister tous leurs troupeaux sur le même terrein, les force bientôt de se séparer & de s’éloigner les uns des autres, à moins qu’attirés par les fruits abondans des peuples agricoles leurs voisins, ils ne fassent ensemble une soudaine irruption sur leur territoire, & ne s’y nourrissent de pillage.

Les seuls peuples cultivateurs peuvent seuls arriver à l’abondance & au bonheur social qui la suit, parce que seuls ils multiplient annuellement les fruits de la terre, dont le commerce animé