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Les entrepreneurs des boucheries sont communément en fonds : ils jouissent de quelque aisance. On se sert de ce prétexte pour réduire toujours davantage le taux de la viande, comme s’il n’étoit désavantageux que pour eux ; on ne voit pas qu’ils ne se soutiennent que parce que le prix demeurant égal, les fournitures sont différentes ; qu’à mesure qu’ils seront foulés par le taux, ils débiteront en plus grande quantité la plus mauvaise viande. On oublie enfin que le monopole comporte de gros profits, & que ces entrepreneurs retirent tout l’avantage de celui que se permettent les villes.

Les conséquences de ce désordre sont accablantes : la consommation diminue, & avec elle le produit des campagnes ; les sources du commerce ne peuvent que baisser d’une manière sensible, & celles de l’impôt doivent subir le même sort ; car une chaîne imperceptible lie à la fois toutes ces parties. On conçoit l’analogie qui règne entr’elles : sitôt qu’elles forment un ensemble & qu’elles se dirigent d’après une impulsion libre, les révolutions les plus heureuses naissent ; on marche à grands pas vers l’opulence publique. Ce cercle du tout, se forme de lui-même ; il s’agit seulement de ne le point troubler[1].

(Cet article est de M. Grivel.)

BOUILLON (duché de). Voyez le Dictionnaire de Jurisprudence.

BOULANGER, que quelques-uns écrivent boulenger, s. m. Mot qui tire son origine du latin pulx, bouillie, prononcé d’abord poulx, & ensuite boulx, en s’adoucissant, est le nom qu’on donne à celui qui pétrit, qui cuit le pain, & qui le vend au public.

BOULANGERIE, s. f. est non-seulement le lieu où se fait la manipulation du pain, mais encore l’art & la profession du boulanger.

Selon les livres saints, la culture des grains pour la nourriture de l’homme date des premiers temps de l’histoire des patriarches. Cependant, soit que les grandes révolutions qui ont bouleversé le globe, soit que les malheurs arrivés au genre humain eussent fait perdre la connoissance de l’art nourricier, il ne paroît pas qu’il fût connu des premières sociétés policées, puisqu’on y jugea dignes de l’apothéose Osiris, Cerès, Triptolême, qui les premiers enseignèrent aux peuples l’art de cultiver les grains, & la méthode d’en substituer l’usage à celui du gland.

On ne trouva le moyen de faire du pain, avec grains réduits en poudre, que long-temps après l’invention de l’agriculture. Rôti sur un âtre échauffé, le bled se mangea d’abord en substance[2]. La trituration du bled brisé entre les dents & imbibé de salive, fit naître ensuite l’idée d’écraser les grains entre deux pierres & d’en délayer la farine avec de l’eau ; & ce mêlange remué & échauffé sur le feu produisit de la bouillie. Ce fut de cette bouillie rendue plus épaisse & changée en pâte, qu’on s’avisa enfin de faire des pains ou gâteaux, en les mettant cuire sous la cendre chaude pour leur donner de la consistance. Telle fut la première méthode de faire du pain, méthode long-temps suivie, quoiqu’elle ne donnât qu’un pain mat & azyme. Pour le rendre moins lourd, on le faisoit fort mince ; c’étoit une sorte de galette qui ne se coupoit point : on le rompoit simplement avec les doigts pour le servir, ou pour le manger.

On n’a vraiment connu le pain, que lorsqu’on a eu trouvé le moyen de fomenter la pâte en y mêlant du levain. Le hasard ayant fait découvrir que ce levain, qui n’est qu’un peu de pâte aigrie, pêtri avec la farine, échauffoit & gonfloit la pâte où il étoit mêlé, & qu’un juste degré de fermentation rendoit le pain léger & savoureux, l’usage du pain levé s’établit par-tout, & le premier des alimens devint pour l’homme plus sain, & plus agréable qu’il n’étoit auparavant.

Chaque maison, chaque famille fabriqua d’abord, son pain, & la profession de boulangers publics ne fut exercée qu’assez tard chez les nations civilisées ; mais, dès qu’elle y fut admise & autorisée, on crut devoir l’assujettir, ainsi que celle des bouchers, à divers réglemens de police qu’on jugeoit propres à la rendre plus utile au peuple, plus exacte & moins coûteuse. On peut même dire que, de nos jours comme anciennement, la boulangerie a été de tous les arts celui qu’on a soumis à plus de réglemens, d’inspections & de taxations.

Pour ce qui regarde le détail des réglemens & de la police moderne concernant la boulangerie, voyez l’article Boulanger dans les Dictionnaires de Commerce & de Jurisprudence.

Depuis l’invention du levain, la boulangerie a fait de grands progrès chez les nations agricoles ; cependant elle n’y a pas atteint, comme plusieurs arts d’agrément, le degré de perfection auquel son extrême importance devoit naturellement l’élever. Si on s’étonne de cette différence, & qu’on en cherche la raison, on voit d’abord que la boulangerie ne doit pas être considérée d’une manière isolée, & que de même qu’elle influe sur le bonheur du peuple, par la bonne

  1. Une partie de cet article est tirée d’un mémoire qui occasionna l’arrêt du parlement de Dauphiné du 7 mars 1770, lequel établit dans son ressort la liberté du commerce de la viande. L’auteur est un magistrat, dont un pareil ouvrage prouve les lumières & l’humanité.
  2. C’est ainsi que les soldats russes en usent encore souvent, dans les longues marches qu’ils font à travers les vastes déserts de leur pays, où l’on ne pourroit leur fournir du pain qu’avec beaucoup de difficultés & de dépenses.