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façon & le juste prix du premier des alimens, elle tient à la prospérité de l’état, & dépend de plusieurs causes qui sont dans la main du gouvernement ; que la bonne façon & l’abondance du pain, par exemple, sont dues en grande partie à la bonne mouture & que l’émulation qui doit animer la mouture & la boulangerie, est une suite nécessaire de la liberté & de l’immunité du commerce des grains & des farines, ainsi que de la liberté de la fabrication & de la vente du pain.

Pour nous assurer si la liberté & l’immunité du commerce des grains, de la farine & du pain peuvent contribuer à la perfection de la boulangerie & devenir des objets très-essentiels au bonheur du peuple & au bien de l’état, examinons un moment les effets qui résultent de cette liberté & de cette immunité[1].

La communication de nos provinces entre elles, & du royaume avec les pays étrangers, pour le commerce des grains & des farines, entretient nos denrées à leur prix naturel, c’est-à-dire, au prix que nous donne notre position entre les états du nord & ceux du midi. Ce prix naturel de nos grains est supérieur d’environ un quart au prix où ils étoient d’ordinaire, quand le commerce n’en étoit pas libre, ensorte que si le prix moyen des grains de toute espèce étoit alors douze livres le septier, ce même prix est naturellement seize livres ou environ, dans l’état de liberté & d’immunité.

Cette augmentation du prix des grains, à raison seulement de quatre livres par septier, occasionne infailliblement un accroissement du revenu des terres. Supposé que la totalité des grains du royaume ait été de soixante millions de septiers, à quatre livres d’augmentation par septier, le premier accroissement indubitable au revenu territorial est de deux cens quarante millions ; ce qui emporte nécessairement l’augmentation des revenus du roi & des propriétaires, & de la prospérité du commerce & des arts.

Mais, me dira-t-on, l’augmentation du prix des grains, entraîne naturellement celle du pain, pour les ouvriers, les marchands, les gens à talens qui l’achetent & qui ne receuillent point de grain.

Le commun des hommes ne voit que ces deux effets de la liberté. Il s’imagine que l’augmentation du prix du pain est absolument proportionnel à l’augmentation du prix des grains. C’est une erreur populaire très-facile à détruire.

La liberté & l’immunité assurent aux grains & aux farines un prix moins variable & presque uniforme. Autrefois les variétés brusques & fréquentes dans les prix étoient la suite nécessaire des prohibitions. Dans les années abondantes, les grains, faute de débouchés, ne valoient pas les frais ; ils se gâtoient dans les meules & les greniers ; les cultivateurs étoient ruinés ; les revenus du roi, des propriétaires, des seigneurs en souffroient : la culture dépérissoit. Dans les mauvaises années, le grain montoit rapidement à un prix excessif pour le peuple des villes, mais les gens de la campagne ruinés dans les années d’abondance, ne profitoient pas de ce prix excessif, leur récolte actuelle étant trop mauvaise, & les anciennes ayant été perdues ou achetées à vil prix par des monopoleurs.

La liberté des communications assure la bonne vente, même dans les années de la plus grande abondance, parce qu’on peut approvisionner le besoin partout où il se trouve ; & dans les tems de disette cette liberté assure meilleur marché au peuple des villes, parce qu’il y a toujours des cantons mieux traités par la nature, qui sont dans une surabondance de grains & qui désirent vendre.

Ces deux effets opèrent un double profit considérable. 1o. Les cultivateurs, les propriétaires, les seigneurs & le roi pour sa part, profitent de tout ce qui se perdoit par le défaut de bonnes ventes dans les années d’abondance, & de tout ce qui naît de plus. Ce profit ne coûte rien au peuple des villes. 2o. Ce peuple des villes à son tour profite dans les mauvaises années de tous les bénéfices que faisoient les monopoleurs & leurs adhérens, & ce profit ne coûte rien aux gens de la campagne.

Mais si lorsque la liberté & l’immunité augmentent d’un quart le revenu des terres en rendant aux grains leur prix naturel, si dans ce moment même on trouvoit le moyen d’empêcher le pain du peuple artisan & commerçant d’augmenter dans les villes, si on pouvoit le conserver au même prix. Ne seroit-ce pas-là un vrai coup d’état de la plus grande conséquence ?

Supposons que la totalité des grains de toute espece commerçables dans le royaume, ait été jusqu’à présent, de soixante millions de septiers, à raison de douze livres le septier, prix commun, l’un dans l’autre, si la liberté & l’immunité les portoit à seize livres, ce seroit deux cent-quarante millions d’augmentation au revenu des terres.

Cette liberté augmenteroit encore la masse des grains annuellement commercés de plus de douze millions de septiers qui se perdoient ou n’étoient pas produits. Ces douze millions vaudroient encore deux cent millions ou environ.

Ce seroit donc plus de quatre cent millions d’accroissement au revenu des terres.

  1. Une grande partie de cet article est tirée par extrait d’un ouvrage de M. l’abbé Baudeau, publié en 1768, sous le titre de résultats de la liberté & de l’immunité du commerce des grains, de la farine & du pain.