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Si on pouvoit dans le même temps procurer au peuple des villes la même quantité de pain, aussi bon, & même meilleur, avec trois septiers de grains qu’il en retiroit jusqu’à présent de quatre septiers, ce peuple se trouveroit de pair dans l’achat de sa subsistance. Car trois septiers à seize livres ne lui coûteroient que quarante-huit livres, même prix que lui coutoient quatre septiers à douze livres.

Il ne seroit donc pas nécessaire d’augmenter les salaires. Les quatre cent millions & plus ajoutés au revenu territorial, serviroient à rappeller, à fixer, à élever, dans le royaume, des hommes qui ne peuvent pas y vivre, qui en désertent, que la misere empêche d’y naître, ou du moins d’y atteindre l’âge viril.

Ces hommes de plus trouveroient chaque année leur subsistance, leurs salaires, dans les quatre cent millions d’augmentation survenus aux revenus des terres. En leur adjugeant à chacun deux cent livres par tête l’un portant l’autre, c’est deux millions d’hommes. Les cultivateurs, les propriétaires, les seigneurs & le roi qui les solderoient, auroient entre eux de profit chaque année, la jouissance des travaux que feroient ces deux millions d’hommes de plus.

Tel est en gros l’avantage qu’il y auroit à épargner à perpétuité sur le prix du pain & sur la quantité du grain que consomme le peuple, dans le moment même où l’on augmenteroit à perpétuité le prix des grains, & par conséquent le revenu des terres. C’est sous ce point de vue infiniment grand, qu’il faut envisager la liberté du commerce des grains, de la farine & du pain, pour en sentir toute l’importance.

Les calculs qu’on vient d’exposer, portent sur des élémens, qui ne peuvent s’éloigner que très-peu de la vérité. On sait positivement que les hommes ont consommé jusqu’ici l’un portant l’autre, environ trois septiers de grains. Les animaux de toute espece en consomment aussi. Quand même on ne compteroit dans le royaume que dix-huit millions d’habitans, il est impossible que leur subsistance & celle des animaux n’employent pas plus de soixante millions de septiers de tous grains.

Or il est prouvé depuis plusieurs années par les faits les plus constans & par une multitude d’expériences en grand, qu’en perfectionnant par l’instruction, par la liberté & l’immunité, les deux arts nourriciers de la mouture & de la Boulangerie, on peut gagner dans la majeure partie des provinces du royaume, un cinquième, un quart, & même jusqu’au tiers sur la quantité & le prix du pain, sans même alterer en rien sa qualité.

Rien n’est plus étrange que l’état de ces deux arts, qui, après l’agriculture, sont évidemment les premiers de tous. Nos anciens usages & réglemens les ont mis par des privileges exclusifs entre les mains des artisans les plus grossiers & le moins à leur aise, par conséquent les plus avides de profit, & les plus incapables de se procurer ce profit autrement que par la fraude, par le mauvais soin & par la survente, au lieu que des hommes instruits, qui sont en avance, tirent leur profit de l’économie du temps, des hommes & des denrées.

Les meuniers & les Boulangers gênés & rançonnés de mille manieres par des réglemens inutiles & des petites exactions continuelles[1] ; d’ailleurs assurés en gros de leur débit ou de leur salaire par un privilege exclusif, n’avoient ni l’industrie ni le moyen de tirer meilleur parti pour le peuple consommateur de la farine & du grain. Ils n’y avoient même aucune espece d’intérêt. Enfin, dans le défaut de vente occasionné par la prohibition du commerce, ces denrées ne valoient souvent pas la peine d’être épargnées.

Il n’est donc pas surprenant qu’on ait si fort négligé l’art de la mouture & celui de la Boulangerie, pendant qu’on s’est tant occupé des objets les plus frivoles, & que par une suite de cette négligence jointe au défaut d’intérêt, ces arts soient restés dans la barbarie.

On est tout étonné aujourd’hui, & on le sera bien plus dans l’avenir d’apprendre ce qui se fait actuellement à Paris même, dans les environs de la capitale & dans quelques-unes de nos provinces avec un septier de bled.

D’une part des personnes instruites & zélées qui se sont fait une etude particuliere de la mouture & de la Boulangerie, après avoir connu en grand l’utilité de cet objet, & sa relation intime avec la prospérité de l’état, tirent journellement d’un septier de froment pesant deux cent quarante livres, à seize onces la livre, environ deux cent-cinquante ou deux cent-soixante livres de très-bon pain. C’est-à-dire que si on veut du pain tout-à-fait blanc, & du pain tout-à-fait bis, ils en tirent environ deux cent-trente à trente-cinq de blanc, & environ dix-huit ou vingt de bis. Mais si l’o veut tout mêler ensemble, & s’occuper plutôt du goût, de la salubrité & du profit que de la couleur, ils tirent deux cent-soixante-livres au moins de bon pain de ménage.

À Paris cependant où l’on est plus instruit que

  1. Le roi Louis XVI a supprimé dans les villes & les terres de son domaine un grand nombre de droits de péage, pontonage, hallage, mesurage, &c. qui ne servoient tous qu’à renchérir les grains & le pain ; mais il reste encore en divers lieux, beaucoup de ces droits qui sont exigés & perçus au profit des seigneurs, des villes particulières, des jurandes, ou corps de maîtrises. Ces barrières trop multipliées ne nuisent pas peu à la liberté & à la modicité du prix de ces denrées ; chacun de ces droits occasionne de grandes difficultés qui ont gêné, rançonné, effarouché & même empêché jusqu’à présent le commerce des grains, de la farine & du pain.