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ques-uns dans la corruption générale, les réclament en vain.

Abus de la liberté dans les monarchies tempérées. « Les grands avantages, dit Montesquieu, que les gouvernemens modérés tirent de la liberté, font souvent qu’ils en abusent. Parce que la modération a produit de grands effets, on quitte cette modération que l’on devrait conserver comme le trésor le plus précieux & cultiver comme un fonds inépuisable. Parce qu’on en tire de grands tributs, on veut en tirer d’excessifs ; &, méconnoissant la main de la liberté qui donne gratuitement & abondamment, on s’adresse à la servitude qui refuse tout.

» Ainsi l’abus de la liberté, dans les monarchies tempérées, produit l’excès des tributs ; mais l’effet de ces tributs excessifs est de produire à leur tour la servitude, & l’effet de la servitude de produire la diminution des tributs.

» En Europe, les édits des princes affligent même avant qu’on les ait vus, parce qu’ils y parlent toujours de leurs besoins, & jamais des nôtres.

» D’une impardonnable nonchalance que les ministres de l’Asie tiennent du gouvernement & souvent du climat, les peuples tirent cet avantage, qu’ils ne sont point sans cesse accablés par de nouvelles demandes. Les dépenses n’y augmentent point, parce qu’on n’y fait point de projets nouveaux : & si, par hasard, on y en fait, ce sont des projets dont on voit la fin, & non des projets commencés. Ceux qui gouvernent l’état ne le tourmentent pas ; parce qu’ils ne se tourmentent pas sans cesse eux-mêmes. Mais, pour nous, il est impossible que nous ayons jamais de règle dans nos finances, parce que nous savons toujours que nous ferons quelque chose, & jamais ce que nous ferons[1].

Trop souvent on appelle parmi nous un grand ministre, non celui qui est le sage dispensateur des revenus publics, mais celui qui est homme d’industrie, & qui trouve ce qu’on appelle des expédiens : expédiens qui sont toujours des abus plus ou moins sensibles de la liberté, des concussions palliées, des attentats plus ou moins grands contre le droit de propriété ».

ABYSSINIE, royaume d’Afrique. Le Dictionnaire géographique a recueilli tout ce qu’on sait sur le gouvernement & l’administration de ce pays, & nous y renvoyons les lecteurs.

ACCAPAREMENT, s. m. action d’accaparer, monopole consistant à faire des levées considérables de denrées ou marchandises, pour s’en approprier la vente à soi seul, à l’effet de les vendre à si haut-prix que l’on voudra.

ACCAPARER, signifie donc acheter des denrées ou des marchandises ; & en faire de grandes levées dans la vue de les rendre rares & fort cheres. On dit accaparer des bleds, des laines, des cires, des suifs, &c.

Cette opération est défendue sous peine de confiscation des marchandises accaparées, d’amende pécuniaire, & de peine corporelle en cas de recidive.

Il ne faut pas confondre le terme d’accaparer avec celui d’enarrher, quoiqu’on donne quelquefois des arrhes en accaparant, quoiqu’on ait prononcé la même peine dans les deux cas, & que l’un ne soit pas souvent plus condamnable que l’autre. Voyez Enarrher.

L’accaparement condamné par les loix & par le préjugé, n’est pourtant pas toujours aussi condamnable en lui-même qu’il semble l’être, d’après l’opinion publique & les ordonnances qui le proscrivent ; car, pour l’ordinaire, il est occasionné par des vices d’administration. D’ailleurs si l’accapareur n’usoit pas de mauvaise foi, s’il n’employoit pas l’astuce ou la surprise dans ses achats, s’il visoit plutôt à se donner des profits honnêtes qu’à priver le peuple de subsistance, les marchés qu’il feroit étant fondés fur la liberté naturelle dont tout citoyen doit jouir dans l’emploi de ses propriétés, & sur celle qui doit également appartenir aux vendeurs des marchandises qu’il achète, il est évident qu’il ne blesseroit le droit de personne en exerçant le sien dans toute son étendue, & qu’il ne feroit que ce que tout autre citoyen pouvoit entreprendre avant lui, & avoit le droit de faire comme lui. Il est vrai qu’on peut rarement alléguer cette dernière excuse en faveur de ce monopole, & qu’on ne le voit point sous un point de vue favorable. Il paroît toujours dangereux, mais il est encore plus effrayant.

En effet l’idée qu’on se fait de l’accaparement est le plus souvent comme celle qu’on attache aux mots de sorcier & de maléfice ; elle est grossie, elle est défigurée par l’imagination. C’est un fantome qui, vu à travers les brouillards de l’ignorance & du préjugé, a communément plus d’apparence que de réalité.

Mais, rangé dans la classe des abus & regardé comme dangereux & funeste, il est du petit nombre de ceux qu’il faut considérer comme effet & non comme cause. La cherté des grains, les troubles & les désordres qu’on prétend qu’elle occasionne dans une année de disette, ont une cause plus éloignée à laquelle il faut remonter pour découvrir la source de l’accaparement & les moyens d’arrêter ou de prévenir ses manœuvres.

L’accaparement n’existe & ne se montre d’une manière nuisible que dans des pays où des loix positives erronées gênent ou combattent les loix

  1. De l’esprit des Loix liv. XIII, chap. 15.