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primitives & le droit naturel de l’homme, où des polices réglementaires embarrassant les propriétés, restreignent & annullent la liberté du commerce des denrées ou d’autres marchandises.

Alors la cupidité calculant les gains à faire dans un commerce lucratif dont on peut éloigner les concurrens, & profitant de la circonstance où les entraves données à ce commerce en arrêtent la circulation & rendent plus rares les matières qui en font l’objet, s’ingénie, s’intrigue, emploie tous les moyens pour en avoir à elle seule la plus grande quantité possible, parce qu’une fois parvenue à les réunir dans ses mains en tout ou en très-grande partie, elle les revend quand elle veut, les distribue où bon lui semble, & y met le prix à son gré.

Le pauvre peuple cependant souffre & gémit, on crie au monopole ; le gouvernement voudroit quelquefois l’extirper & fait des loix en conséquence, mais vainement il les promulgue ; l’effet qu’elles produisent est nul ou de fort peu de durée, parce qu’elles n’ôtent pas la cause de l’abus. Quand elles viendroient à bout de supprimer pour un moment le monopole, on le verroit bientôt reparoître, si les gênes & les prohibitions portées contre le commerce subsistoient encore.

Non moins à craindre dans son principe que dangereux dans ses suites, l’accaparement est, ainsi que l’usure, la loi de l’opulence avide imposée à la pauvreté nécessiteuse. Celle-ci, dans le besoin de vendre & ne voyant pas d’acheteurs, ou voulant acheter & n’ayant pas d’argent pour payer les choses qui lui sont nécessaires, dénuée de moyens & les trouvant tous dans les mains de l’opulence, est forcée, pour s’en procurer une petite part, d’accepter les conditions que l’autre lui dicte ; elle est en quelque sorte à sa merci, elle en est comme dépendante.

Ce n’est pas que la pauvreté, ou volontaire ou laborieuse, manque à ses intérêts & consente sans résistance à être victime ou dupe ; elle ne vend point à pacte qu’elle ne livre à pacte aussi ; mais elle cède à la force des circonstances ; elle reçoit la loi de la dure nécessité. Si elle accède aux marchés qu’on lui prescrit, c’est que, tout mauvais qu’ils sont, ces marchés lui paroissent & sont encore préférables à la privation des moyens dont elle manque & qu’ils lui procurent. Elle accepte des arrhes sur ces marchés, pour ne pas perdre l’occasion de se procurer les choses dont elle a besoin ; enfin elle tient à ses conventions, dans la crainte d’être forcée d’en accepter de pires.

Aussi le monopole ou, pour mieux dire, l’agio à qui ces craintes & ces besoins de la pauvreté n’échappent point, qui au contraire compte bien sur eux, & qui sent tout ce qu’il peut par sa bourse & par ses intrigues, cherche-t-il à profiter de tous ces avantages, étend de plus en plus ses entreprises, & tente quelquefois d’accaparer tous les produits, tous les effets d’une contrée. Souvent il a des émissaires & des espions à ses gages, intéressés à ses succès par l’appât du gain qu’ils en attendent. Il leur fait la leçon ; il les distribue dans les lieux où il prétend les faire agir. Il s’en sert pour multiplier ses opérations, pour prévenir ou écarter les concurrens, pour s’emparer du superflu des denrées. S’agit-il ensuite d’appeller la cherté, ses trompettes sonnent l’allarme ; ils suscitent par tous moyens le discrédit & l’épouvante ; la crainte de la famine fait fermer tous les greniers, & ceux qui ne sont pas suffisamment pourvus de grains, le bas peuple sur-tout qui ne seme & ne récolte point, & qui vit du jour au jour, est forcé d’avoir recours au monopoleur, & de payer sa substance au taux que celui-ci veut y mettre. C’est ainsi que l’opulence avide sait profiter sur le bien d’autrui, avant même de l’avoir payé, & que l’accaparement dont il se sert pour le succès de ses entreprises est une de ses plus sûres armes.

Tels sont souvent les pernicieux effets de l’accaparement monopoleur, qui nous font sentir combien il importe d’arracher jusqu’à la racine un abus aussi funeste ; mais la vue seule du mal ne suffit pas pour le guérir. L’extirpation d’un mal quelconque ne procède utilement que de la connoissance de son principe.

L’accaparement provient du concours de ces trois causes.

1o. Influence de l’administration sur les ventes & les achats.

2o. Inégalité prodigieuse des fortunes.

3o. Ignorance & préjugés populaires.

Les loix naturelles qui assignent son droit à chaque individu, qui font que toutes ses propriétés sont exclusivement siennes, lui donnent en même temps la liberté d’en jouir & d’en disposer à son gré & pour son plus grand profit, sans quoi ses propriétés seroient nulles ou inutiles. Tout homme est, par ces loix, maître de sa personne & de ses facultés, & dès-lors maître de son temps & de son travail, maître des gains qu’ils lui procurent, & des biens qu’ils lui acquièrent.

En entrant dans l’union sociale, l’homme n’a pas perdu ces droits, qui sont inhérens à sa personne. Il ne s’est soumis au contraire à contribuer, à raison de ses moyens, au maintien de la société, que pour s’assurer ses propriétés & la liberté d’en faire usage. Les souverains ne règnent que pour maintenir ses droits, & ne peuvent s’écarter de ce premier devoir, sans nuire à leurs sujets & sans se nuire à eux-mêmes.

Il suit de là que l’autorité du gouvernement, instituée pour faire jouir chaque citoyen des choses qui lui sont propres, ne doit pas le priver de la liberté d’en faire usage, de les échanger & d’en disposer à sa volonté, & que l’influence de l’administration sur les ventes & les achats, qui attente à leur liberté, & dès-lors intervertit leur ordre naturel, ne peut être que fort nuisible.