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Cet exemple frappant & le souvenir des loix agraires doivent servir, dans des siècles plus éclairés, à nous tenir en garde contre les insinuations des esprits remuans & novateurs qui, sous prétexte de réunions ou d’autres arrangemens prétendus favorables, voudraient persuader au gouvernement de mettre une main attentatoire aux diverses branches de la propriété.

Tout corps social, quelque ordre qu’on lui donne, sous quelque forme qu’il paroisse, est mélangé de république, &, quand la république y est subordonnée, elle est bien. La monarchie elle-même contient donc des corps, des ordres, des municipalités, &c. & ces corps ont des droits de propriété, aussi respectables, pour l’autorité souveraine, que peuvent & doivent l’être toutes autres propriétés privées.

C’est renouveller la loi agraire, que d’ameuter les individus contre leur corps & contre ses constitutions reçues & autorisées ; c’est préparer, c’est exciter l’insurrection de la cupidité & de l’esprit général d’invasion des propriétés, que de croire pouvoir disposer des propriétés des corps, pourvu qu’on desinteresse les membres qui les composent.

Tous les droits, toutes les propriétés, tant des corps que des particuliers, sont sous la jurisdiction du souverain ; mais ce n’est pas pour qu’il en dispose à sa volonté, c’est au contraire pour qu’il les protège & les défende, contre les atteintes de la force & les entreprises de l’injustice. (G)

AGRICOLE, adject. signifie qui cultive la terre. Un peuple agricole est donc un peuple cultivateur, & un royaume agricole celui dont le peuple est & doit être cultivateur.

On dit agricole, comme on dit regnicole, parce que c’est une sorte de culte que nous devons à la terre qui nous a nourris, & à la patrie qui nous couvrit de son ombre à notre naissance, qui protégea notre croissance, & tous nos droits. On ne dit point navicole, ni articole, quoique la navigation & les arts soient des professions qui demandent des connoissances, de l’application & une pratique fort suivie, & que ceux qui les cultivent doivent tirer leur subsistance & leur avancement de leur exercice ; car celles-ci ne nous imposent que des devoirs partiels auxquels on est libre de se refuser comme de se soumettre ; au lieu que les autres exigent les services, ou du moins l’hommage de tous les citoyens sans exception.

On sait en effet que l’agriculture est la mère de l’espèce humaine & par conséquent la source des merveilles de l’esprit humain, de son industrie & des arts qu’il enfante, de son intelligence & des connoissances qu’il a acquises, qu’il a érigées en sciences, & qu’il transmet de race en race à la postérité ; on sait qu’on lui doit l’existence & la propagation des sociétés, celle des loix qui les maintiennent, de la force qui les protège, du culte qui les rappelle aux institutions divines, enfin de l’autorité & des puissances qui les gouvernent.

Mais ce n’est pas seulement comme mère, à qui tout doit son origine dans les sociétés, c’est comme institutrice & comme ayant seule instruit & éclairé l’homme du flambeau de la nécessité, qu’elle mérite nos hommages. L’agriculture instituée, il fallut partager les champs, établir les poids & les mesures, marquer le cours des saisons, distribuer les denrées & les marchandises, il fallut les ouvrer, les transporter par terre & par eau, ce qui amena tout le reste des travaux & des établissemens de la société & toutes les lumières qui y sont répandues. Chaque jour elles s’y étendent, & l’esprit de l’homme y fait de nouveaux progrès, tandis que les nations brigandes, sauvages ou nomades, qui ne cultivent point la terre, n’avancent pas en mille ans d’un pas dans la carrière des connoissances.

Tout homme social, & tout art quelconque doit donc hommage à cette mère nourrice ; & voici en quoi consiste cet hommage de la part des hommes & des arts qui semblent avoir le moins d’affinité avec l’art nourricier ; c’est que tous doivent suivre leur direction naturelle, & par une tendance insensible & inapperçue se rapporter aux avantages de la cultivation.

Je dis leur direction naturelle, parce que selon la nature tout doit faire cercle & retourner à son principe. Il ne peut y avoir que l’impéritie & les fausses spéculations de l’homme ignorant & malavisé, qui dérangent ce cours ordinaire des choses pour les faire servir à des usages de fantaisie inutiles ou funestes. Toutes les sciences & tous les arts viennent de l’agriculture ; & les arts, les sciences & tout ce qui s’y rapporte ou en dépend, leurs effets, leur perfectionnement, leurs chef-d’œuvres & les hommes célébres qui les cultivent, n’ont de droit à l’estime de la société, qu’en raison de ce qu’ils servent à la défense, à l’encouragement, à l’activité de l’agriculture & de ses travaux, & à celle du débit, du transport & de la consommation des produits qui en résultent.

On a dit & répété,

O ! fortunatos nimium sua si bona norint
Agricolas.

Et cela est vrai pour ceux qui le prennent dans le sens qu’il doit avoir ; mais, à proprement parler, cela n’est bon que pour la poésie, dont un des principaux attributs est de voiler à l’imagination, sous d’agréables images, les peines, les amertumes & les mécomptes de la vie. L’homme ne vit pas d’illusions, & l’on eût dit plus convenablement nationes qu’agricolas. En effet, l’intempérie de l’air, l’inconstance des saisons, l’influence des météores exposent souvent l’agriculteur à des mécomptes avec le ciel, & il doit s’y attendre ; en conséquence il se résigne d’autant que