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la nature répare d’ordinaire ces facheux accidens, en l’indemnisant des mauvaises récoltes par d’abondantes productions. Elle console du moins ses suivans de manière ou d’autre ; mais il n’en pas ainsi des mécomptes qui arrivent par le fait des hommes, & qui sont les suites naturelles des arrangemens ou dérangemens arbitraires & tyranniques. Le moindre faux coup de gouvernail déroute le vaisseau politique ; il peut le jetter sur des écueils & le faire périr. Toute erreur du gouvernement, de l’administration civile, ou de l’opinion sociale porte sur la culture & en diminue les avances ; elle cause par conséquent un double déchet dans la production future, d’où résulte le mécompte du laboureur, les pertes de l’entrepreneur, l’épuisement du fonds & Ia ruine de l’état. Or il est évident que dans ce cours des choses & des événemens, il n’y a de bonheur pour personne, & qu’au contraire tout est perte & infortune pour celui qui avoit fait les avances des profits de tous.

L’expérience de l’homme si bornée lui a fait dire : nul ne perd qu’un autre ne gagne, & malheureusement on croit cette maxime d’une vérité démontrée. Non-seulement les auteurs des pertes de l’agriculture, les artisans de la spoliation de ses revenus, qui ne songent qu’à leur intérêt, mais les spectateurs du désordre, & ceux que les circonstances & leur position forcent en quelque sorte à y concourir, imaginent, que pourvu que les dépenses des déprédateurs fassent circuler leurs profits dans la société, cela revient au même pour l’action générale ; mais la nature & l’ordre qu’elle établit prouvent au contraire : que nul ne perd que tous ne perdent : & cela se vérifie par l’enchaînement des malheurs & par la ruine des états, qui méprisant cette vérité, marchent vers leur chûte ; parce que l’ordre qui se manifeste d’une manière si magnifique dans la marche des saisons, dans l’action de la nature & dans les vues de son auteur, étant seul réproductif dans les travaux des hommes ; c’est-à-dire, parce que la terre ne pouvant être annuellement productive & donner des fruits abondans, qu’autant que les hommes agissent de concert avec la nature pour la forcer à la réproduction, ils ne peuvent s’écarter des loix de l’ordre & diminuer les avances qu’il exige, sans diminuer & sans dessécher même la fécondité de la terre.

C’est donc le gouvernement qui doit être agricole ; c’est sur-tout l’esprit national qui doit être agricole ; car dès qu’il le sera, cet esprit deviendra social & militaire, civil & commerçant, ami des arts & des sciences, patriotique & religieux. Comme la racine de l’arbre qui nourrit le tronc & les branches, les feuilles, les fleurs & les fruits, l’esprit agricole sera le vrai principe de tous les changemens heureux qui s’opéreront dans l’état d’après l’opinion publique.

Nous allons placer ici les trente maximes générales du gouvernement agricole, déduites par un homme à jamais recommandable, (M. Quesnai) pour avoir posé les bases de ces grandes vérités. (G)

MAXIME PREMIÈRE.

Que l’autorité souveraine soit unique & supérieure à tous les individus de la société & à toutes les entreprises injustes des intérêts particuliers ; car l’objet de la domination & de l’obéissance est la sûreté de tous, & l’intérêt licite de tous. Le systême des contreforces dans un gouvernement est une opinion funeste, qui ne laisse appercevoir que la discorde entre les grands & l’accablement des petits. La division des sociétés en différens ordres de citoyens, dont les uns exercent l’autorité souveraine sur les autres, détruit l’intérêt général de la nation, & introduit la dissension des intérêts particuliers entre les différentes classes de citoyens : cette division intervertiroit l’ordre du gouvernement d’un royaume agricole qui doit réunir tous les intérêts à un objet capital, à la prospérité de l’agriculture, qui est la source de toutes les richesses de l’état & de celles de tous les citoyens.

II.

Que la nation soit instruite des loix générales de l’ordre naturel qui constituent le gouvernement évidemment le plus parfait. L’étude de la Jurisprudence humaine ne suffit pas pour former les hommes d’état ; il est nécessaire que ceux qui se destinent aux emplois de l’administration, soient assujettis à l’étudë de l’ordre naturel le plus avantageux aux hommes réunis en société. Il est encore nécessaire que les connoissances pratiques & lumineuses que la nation acquiert par l’expérience & la réflexion, se réunissent à la science générale du gouvernement ; afin que l’autorité souveraine, toujours éclairée par l’évidence, institue les meilleures loix & les fasse observer exactement pour la sûreté de tous, & pour parvenir à la plus grande prospérité possible de la société.

III.

Que le souverain & la nation ne perdent jamais de vue, que la  terre est l’unique source des richesses, & que c’est l’agriculture qui les multiplie. Car l’augmentation des richesses assure celle de la population ; les hommes & les richesses font prospérer l’agriculture, étendent le commerce, animent l’industrie, accroissent & perpétuent les richesses. De cette source abondante dépend le succès de toutes les parties de l’administration du royaume,


NOTE.

          (La terre est l’unique source des richesses, & c’est

l’agriculture qui les multiplie, )

Le commerce réciproque avec l’étranger rapporte des marchandises qui sont payées par les