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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.


la communication réciproque des différentes parties de l’univers qu’elle établit, & contre la culture de laquelle les dangers de la navigation lui arrachent des imprécations. C’est de lin qu’étoient ces toiles de fils composés de cent cinquante brins, & la fameuse cuirasse d’Amasis plus étonnante encore, dont chaque fil avoit été tordu de trois cens soixante-cinq autres, par allusion, dit M. de Paw, à la durée de l’année vague ; ce que tant de gens avoient vérifié, qu’il ne ressoit plus, au temps de Pline, qu’un lambeau de cette armure ; c’est de lin qu’on bourroit les matelats, invention venue des Gaules.

On récoltoit le plus beau lin d’Italie entre le Pô & le Tésin ;on y faisoit les toiles dans des caves, ainsi que dans la Germanie. Le lin d’Espagne (carbasus), supérieur à celui d’Italie, se convertissoit en toiles fines comme nos batisses, & connues sous le nom de carbases. Les premières de ces toiles nous sont venues d’Espagne : Sœtabis ou Setabis, aujourd’hui Saint-Philippe, à ce qu’on prétend, étoit célèbre par son lin & ses toiles, que Pline met entre les plus fines & les plus estimées de l’Europe, dont Silius Italicus nous parle ainsi :

Sœtabis & telas Arabum sprevisse superba,
Et Pelusiaco filum componere lino.


& dont Catulle nomme les beaux mouchoirs, sudaria Sœtaba. On faisoit en Espagne des filets & des toiles de lia pour la pêche & pour la chasse, excellentes surtout pour celle du sanglier. Il paroît qu’on en faisoit aussi des voiles de navires…vocat jam carbasus auras : il n’importe que l’expression soit au propre ou au figuré.

Le lin étoit estimé par sa blancheur dès la guerre de Troye ; longtems avant, les prêtres Egyptiens, Hébreux & Indiens avoient adoptés les robes blanches de fin lin, comme une marque de la candeur & de la dignité du Sacerdoce ; distinction qui leur étoit très-agréable, vestes gratissimœ, & tous les agrès de la flote des Grecs, étoient de lin.

Quoiqu’il en soit de ces distinctions, il est évident que le chanvre fut, ainsi que le lin, du plus grand usage dans l’antiquité. Les Babyloniens, suivant Hérodote, portoient des tuniques de lin ; l’habillement des égyptiens étoit de lin. Ce peuple eut la laine en horreur ; il la regarda comme mal saine, & fit intervenir la religion pour en défendre l’usage ; il proscrivit de ses temples, comme profane, la dépouille arrachée aux animaux.

Les plus anciennes statues d’Egypte sont habillées surtout de lin : il en est dont le vêtement ressemble à cette mousseline très-fine, dont les femmes d’Orient portent encore aujourd’hui des chemises ; & l’on voit par les anciennes momies d’hommes & d’oiseaux, dont les bandelettes, aux unes, sont en toile de lin , & de toile de coton à d’autres ; que cette matière avoit aussi été ouvrée par les Egyptiens dans des temps très-reculés : d’où il résulte qu’il