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des objets qu’il appeloit visa, & les grecs phænomena. Ceux qui prétendent, dit[1] Sextus Empyricus, que les Sceptiques détruisent, par leur systême, les apparences des choses, ou n’ont jamais conversé avec eux, ou ne les ont pas bien entendus. En effet, détruisons-nous les sensations, les affections auxquelles nos sens sont sujets tous les jours, soit que nous le voulions ou non, & qui nous forcent à nous soumettre aux apparences qu’elles nous offrent ? Lorsqu’on nous demande si les objets sont tels qu’ils paroissent, on ne nous entend ni douter de ces apparences, ni les nier, mais seulement douter si les objets extérieurs sont réellement tels qu’ils nous paroissent. »

De la volonté.

Je viens maintenant à l’examen de l’acte, que l’on appelle en nous volonté. Nous éprouvons tous les jours que ce qui nous porte à faire une action, ou bien à nous en abstenir, à la continuer ou à la finir, est un certain motif de préférence résultant d’une première perception, lequel nous détermine pour l’un ou pour l’autre de ces différens partis. Ainsi, avant que nous ayons eu le temps de délibérer ou de faire des réflexions sur notre état actuel, nous donnons la préférence à un objet sur tous ceux qui se trouvent être en concurrence avec lui. Semblablement, soit que nous nous abstenions de certaines actions, dont nous avons eu précédemment l’idée, soit que nous persistions dans celles que nous avons une fois commencées, soit que nous les finissions ; tout ce que nous faisons enfin dans l’un ou l’autre de ces trois cas, est une suite nécessaire du premier parti que nous avons pris en préférant une chose à l’autre. Ce pouvoir qu’a l’homme de faire une chose ou de s’en abstenir, de la poursuivre ou de la mettre à fin, est ce qu’on appelle proprement la volonté,[2] dont l’exercice actuel se nomme vouloir.

On agite ordinairement à ce sujet deux questions qui consistent à 1o. si nous sommes libres de vouloir ou de ne vouloir pas ; 2o. si de deux ou de plusieurs objets nous sommes libres de choisir l’un plutôt que l’autre.

Sommes-nous libres de vouloir ou de ne vouloir pas ?

À examiner cette première question de sang-froid, on ne balancera point un moment à se déclarer pour la négative. Car supposons qu’on propose à un homme de faire une certaine action, comme de se promener, & qu’on laisse la chose à son choix ; je soutiens que, dans un pareil cas, la volonté de se promener ou de ne se pas promener existe à l’instant dans cet homme. Quand on lui proposeroit même de faire cette action demain, comme par exemple de se promener demain, sa volonté n’en seroit pas moins nécessitée à se déterminer sur-le-champ : car le parti qu’il prendroit alors seroit ou de différer à en prendre un sur la chose proposée, ou bien de se déterminer dans le moment : or, soit dans un cas, soit dans l’autre, il est toujours vrai de dire que sa volonté se décide sur-le-champ ainsi que dans la première hypothèse, où il n’étoit question que de se déterminer à se promener ou à ne se pas promener. Ainsi, dans quelque position qu’on mette cet homme, il ne peut se dispenser de prendre à l’instant un parti, quel qu’il soit. C’est ce qui fait voir l’erreur de ceux[3] qui prétendent que les hommes sont libres de vouloir ou de ne vouloir pas, parce que, disent-ils, ils sont les maîtres de suspendre leur volonté relativement aux actions qui sont renvoyées au lendemain; mais il est évident que ces personnes-là abusent des termes.

En effet, lorsqu’on dit que l’homme est nécessairement déterminé à vouloir, on n’a jamais entendu qu’il fût nécessairement déterminé à vouloir ou à choisir sur-le-champ un certain objet entre deux dans chaque cas proposé, ou à faire précisément un certain choix dans certains cas, comme par exemple à voyager en France ou en Hollande ; tout ce qu’on a voulu dire par là, c’est qu’il est nécessité à prendre, dans quelque circonstance que ce soit, une résolution quelconque. Eh quoi, en est-il moins déterminé en général à vouloir, parce qu’il lui arrive souvent, en certains cas, de suspendre son vouloir ou son choix ? Suspendre son vouloir, qu’est-ce autre chose qu’un acte même de sa volonté ? En effet, n’est-ce pas proprement vouloir différer son choix, sa volition sur le sujet dont il s’agit alors ?

Enfin, quelques efforts qu’on fasse pour prouver la liberté, au moins dans le cas de la suspension

  1. Dans ses hypothyposes pirrhoniennes, liv. 2, 10.
  2. M. Locke n’en a pas une autre idée, lorsqu’il dit que, la liberté consiste dans le pouvoir de suspendre l’accomplissement de ses desirs, de les comparer avec d’autres desirs, jusqu’à ce que reconnoissant le parti le plus avantageux, on se trouve mal à son aise de ne pas suivre ». Or cette liberté renferme les idées de perception, de jugement, de volonté, d’action résultante de la dernière résolution. La perception est nécessaire, personne n’en doute : juger, c’est découvrir qu’une opinion est supérieure en preuves à une autre opinion ; ainsi, à le bien prendre, cette faculté ne diffère point de la perception. Elle est donc nécessaire aussi. La volonté se tourne nécessairement vers le plus grand bien reconnu pour tel actuellement, &c. Voyez l’essai sur l’entendement humain, liv. 2, chap. 21.
  3. Locke, ibid.