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du choix, on ne parviendra jamais à me persuader qu’il y ait quelque différence réelle entre le cas de cette suspension & les autres cas les plus ordinaires, où notre choix & notre volonté ne se déterminent qu’en conséquence du degré d’excellence qu’un objet nous semble avoir sur un autre. Car un homme, par exemple, qui aime mieux vivre en Angleterre que d’en sortir, (lequel assurément n’est déterminé que par la satisfaction qu’il goûte à vivre en Angleterre,) rejette la pensée, la volonté de quitter ce pays pour aller vivre ailleurs ; il en est de même d’une personne qui suspend son choix sur quelque sujet proposé : quel rôle joue-t-elle alors ? Ou elle ne veut rien faire dans ce moment, ou elle refuse absolument de prendre là-dessus une résolution : mais soit qu’elle refuse absolument de se déterminer, ou bien qu’elle refuse simplement de le faire pour le présent, cela change-t-il rien au fond de la question ?

Concluons donc hardiment que vouloir suspendre son choix n’est pas un acte moins essentiel de la volonté que les autres vouloirs ou choix, de quelque nature qu’ils soient, & par conséquent qu’il n’est pas plus exempt qu’eux des loix de la nécessité.[1]

De plusieurs objets sommes-nous libres de choisir l’un plutôt que l’autre ?

Il est d’abord indispensable d’examiner si nous sommes libres de choisir l’un ou l’autre de deux objets, entre lesquels nous appercevons quelque différence, c’est-à-dire, dont l’un nous paroît plus avantageux que l’autre, ou bien dont l’un nous semble moins nuisible que l’autre.

Pour éclaircir cette question, il ne faut que considérer la nature & l’essence de la volonté. Le choix de préférence ou la volition est relativement au bien & au mal, ce qu’est le jugement par rapport à la vérité ou à la fausseté d’une proposition.[2] Vouloir une chose préférablement à une autre, c’est proprement juger qu’une chose, tout considéré, est meilleure ou n’est pas si mauvaise qu’une autre. En un mot, comme nous jugeons de la vérité ou de la fausseté d’une proposition selon les apparences qui nous affectent, de même aussi nous voulons ou nous choisissons nécessairement tel ou tel objet en conséquence de l’impression que ses apparences font sur nous, à moins qu’on ne soutienne qu’il nous est possible de nous refuser au témoignage de notre propre conscience, & de regarder comme très-mauvais ce qui s’offre à nous sous une apparence contraire, & vicissim.

  1. Quelque soit notre vouloir, il nous est imprimé, & c’est par cette impression victorieuse, que nous voulons ce qu’elle nous nécessite à vouloir. En un mot, notre volonté veut du vouloir dont elle veut, comme les corps se meuvent du mouvement dont ils se meuvent : ce mouvement, qui est en eux, n’est pas d’eux. V. l’essai philos. sur la prov.
  2. Il échappe à M. Chub, un des défenseurs les plus zélés & les plus méthodiques de la liberté, de dire à ce sujet, « que si la liberté d’un agent consiste dans le pouvoir d’assigner la différence des choses, c’est-à-dire, de déterminer arbitrairement ce qui sera bon ou mauvais, juste ou injuste, & par consequent ce qui lui plaira ou ne lui plaira pas, il faut avouer qu’il n’y a ni ne sauroit y avoir de liberté, parce que les choses dont il s’agit sont fondées dans la nature indépendamment de toute décision ; à quoi il faut ajouter que la supposition d’un tel pouvoir renferme une absurdité ; car, comme le juste & l’injuste, le bien & le mal supposent une différence naturelle dans les choses ; aussi, sans cette différence, il ne sauroit y avoir de raison pourquoi une chose nous plairoit ou nous déplairoit plus qu’une autre : ainsi supposer un pouvoir qui met de la différence dans de certaines choses, dans le tems qu’il n’y en n’a aucune dans la nature, c’est supposer que les choses peuvent différer pendant qu’elles sont semblables ». Aussi, pour tâcher d’éviter les conséquences qui résultent naturellement de ces réflexions, est-il obligé de restreindre la liberté au pouvoir, qu’a l’homme d’agir d’une manière convenable ou contraire à la convenance morale des choses, supposé que cette différence soit dans la nature… « Ainsi, (continue-t-il) quoique par la nature de la chose chaque homme soit disposé à préférer le bonheur à la misère, & quoique la constitution particulière de chaque homme puisse l’incliner à préférer une sorte de plaisir à une autre, (ce qui, à ce que je crois, est tout ce qu’on peut m’objecter de plus fort,) cependant aucun homme n’est déterminé par là à être généreux ou bassement intéressé, à être vertueux ou vicieux… Le fondement de cette différence, savoir qu’un homme est bienfaisant ou vertueux, & qu’un autre est mal-faisant ou vicieux, ne vient point de la différence naturelle des choses, car alors tous les hommes seraient également vertueux ou vicieux, ni d’une inclination qui tire son origine de la constitution particulière de chaque homme, & qui le porte à préférer une sorte de plaisir à une autre, la chose ayant également lieu à l’égard des gens vertueux, & à l’égard de ceux qui ne le sont pas : mais il vient clairement de ce pouvoir ou de cette liberté qui se trouve dans tous les hommes, & par laquelle ils dirigent ou arrêtent leurs inclinations ou leurs efforts comme ils le jugent à propos. »

    Or je demande au lecteur impartial, si tous ces raisonnemens détruisent l’influence nécessaire qu’ont sur nos actions la différence naturelle des choses, & la constitution particulière de chaque individu que notre auteur a été forcé de reconnoître, jointes à la diversité des circonstances, où chaque individu se trouve placé, & qui peuvent varier à l’infini ses perceptions, ses jugemens, ses passions & ses affections ; diversité que M. Chub n’ignoroit certainement point, mais dont il n’a pas jugé à propos de faire mention ici, l’on devine aisément pour quelle raison. Voyez les nouveaux essais sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme, & l’origine du mal, traduits de l’anglois, de M. Chub. À Amsterdam, chez François Changuion, 1733.