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culté à une substance immatérielle, comme notre docteur en convient, ne peut pas la lui ôter en laissant le sujet dans le même état qu’il étoit avant qu’il eût reçu cette faculté ?

4o. Pour ne rien laisser à desirer sur ce sujet, j’alléguerai l’exemple d’une qualité d’un être immatériel qui doit sa conservation à l’action des êtres créés, & qui peut cesser sans qu’il arrive aucun changement à la substance de cet être. C’est du mouvement de l’ame que je veux parler. Comme M. Clarke n’exclut point l’étendue de l’idée de l’être immatériel, il est évident que quand nous changeons de place, notre ame se meut avec notre corps, quoique l’ame n’ait point, à proprement parler, de mouvement, si elle n’a point d’étendue. Ce mouvement de l’ame est entièrement dû aux causes externes & matérielles ; non seulement pour le degré de vîtesse, mais encore pour la détermination & la direction : dès que l’action des causes externes & matérielle cesse, le degré & la détermination particulière du mouvement de l’ame cesse aussi ; & si tel mouvement particulier d’un être immatériel dépend des causes externes matérielles, tous ses autres mouvemens en dépendront aussi. Du moins je ne vois pas ce qui pourroit empêcher qu’ils n’en dépendissent tous. Et s’il est ainsi, il n’y a point de contradiction à supposer que l’ame puisse être en repos, sans aucun mouvement actuel, sans que sa substance en soit ni changée ni anéantie. Nous avons donc un être immatériel qui peut recevoir & perdre un mode, une qualité, savoir le mouvement, par l’action d’une puissance naturelle, sans même qu’il arrive aucun changement à la disposition de ses parties. Que devient à-présent cette proposition générale de M. Clarke ? « Qu’il n’y a point de puissance naturelle capable d’agir sur les qualités ou sur les modes d’un être indivisible, parce que si elle agissoit sur ces qualités ou modes, ce ne seroit qu’en produisant du changement dans la substance de cet être, c’est-à-dire, dans Ia disposition de ses parties ».

5o. Supposons que M. Clarke a prouvé ce qu’il n’a pas même rendu vraisemblable, savoir que toute l’ame, ou le principe immatériel qui pense, ne sauroit être divisé par aucune force naturelle, & que par conséquent il est naturellement immortel dans ce sens, cependant cette indivisibilité & cette immortalité ne sont rien de plus, que ce qu’il accorde à quelques particules de matière : « car il dit expressément qu’il y a des particules élémentaires, parfaitement solides, qu’aucune force naturelle ne peut diviser ». Et pourtant il me reprend d’avoir donné le nom d’être individuel à des particules élémentaires de la matière parfaitement solides qu’aucune cause ou force naturelle ne sauroit diviser. Si donc un atôme de matière, quoique naturellement indivisible, n’est pas naturellement immoral, parce qu’il n’est pas indivisible dans le sens que M. Clarke exige pour fondement de l’immortalité naturelle, savoir de ne pouvoir être divisé par Dieu même, il faut prouver que l’ame ne sauroit être divisée par la force infinie de Dieu, s’il veut démontrer qu’elle est naturellement immortelle. Mais il n’a rien dit qui prouve que l’être immatériel soit divisible en ce sens. Il l’a supposé : une supposition aussi gratuite n’est pas une preuve.

IV. « Puisque, suivant notre docteur, un être individuel peut seul être le sujet de la faculté de penser, pourquoi plusieurs parties de la matière réunies en un seul systême, ne pourroient-elles pas devenir propres à recevoir cette faculté ? Dieu ne peut-il pas en faire un tout individuel, c’est-à-dire les unir tellement ensemble qu’elles ne puissent pas être séparées ni divisées par aucune cause naturelle ? Dans cet état d’union, que leur manqueroit-il pour être capables de penser ? Le corps qu’elles formeroient par leur réunion intime, auroit l’individualité : il auroit donc la seule chose requise pour être capable de penser : il pourroit donc devenir un être pensant.

« En supposant plusieurs parties si étroitement unies ensemble qu’elles ne pussent plus être séparées les unes des autres, en quoi consisteroit la distinction ou l’individualité de chaque partie ? Il me semble, à moi, qu’elle ne seroit plus. Cette union intime l’anéantiroit ; & un tel composé n’auroit point de parties distinctes, comme l’être immatériel n’en a point, quoiqu’il soit étendu. En supposant cette union complette & entière, les parties sont aussi incapables de division que celles de l’étendue immatérielle. Toute la différence qu’il y a entre la substance immatérielle & la substance matérielle, indépendamment de Ia solidité de celle-ci qui manque à l’autre, consiste en ce que l’une est peut-être individuelle par sa nature, & que l’autre devient par un acte particulier de la puissance divine ce que la première est par la création. Je ne vois pas du reste que cette différence suffise pour rendre l’une capable de penser, & l’autre incapable de recevoir la faculté de penser, à moins que cette faculté ne puisse pas se trouver avec la solidité dans le même sujet ».

Pour réfuter cette objection, M. Clarke tâche d’établir une différence essentielle entre un systême de matière tel que je le suppose, & un être immatériel, fût-il même étendu. « Le cas est différent, dit-il, parce que quelques-unes des premières & des principales propriétés que nous connoissons à la matière, telles que