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1o. J’observe en premier lieu que cette réponse ne s’accorde point avec le fait, ou que même elle suppose l’ame matérielle & divisible. Nous savons par expérience que l’ame ou l’être qui pense, subit divers changemens ou altérations. L’ame non-seulement éprouve diverses passions, comme de chagrin, d’amour, &c., ce sont des modifications qui ne durent qu’un tems. L’ame a encore d’autres qualités ou propriétés, comme de voir & : d’entendre, qui cessent par la mauvaise disposition des organes appropriés à telles opérations de l’ame. De plus, il ne paroît pas que l’ame pense dans le sommeil. Comment M. Clarke accordera-t-il cette succession de diverses passions dans l’ame, l’interruption de certaines qualités ou facultés, & même la cessation totale de la pensée, avec son principe » qu’il n’y a point de puissance naturelle qui puisse agir sur les qualités & les modes d’un être indivisible, ni y produire le moindre changement ? » Je lui promets bien de rendre raison de ce phénomène psychologique, & de faire voir comment un être immatériel peut cesser de penser par l’impression d’une puissance naturelle. Mais s’il nie qu’un être immatériel puisse recevoir aucune impression d’une puissance naturelle, ne dois-je pas en conclure que notre ame qui, par l’expérience, est soumise à l’action de plusieurs puissances naturelles dont elle ressent l’influence, est un être matériel ?

2o. On entend ici par puissances naturelles les êtres matériels ou immatériels créés & leurs diverses influences & actions les uns sur les autres. Or jusqu’à ce que M. Clarke ait une idée complette de ces deux sortes d’être, & des influences & actions diverses qu’ils exercent les uns sur les autres, il lui est impossible de décider en quoi consiste & jusqu’où s’étend l’action de l’un sur les facultés & les opérations de l’autre. En supposant qu’il y a des êtres dans le monde qui pensent, & dont la substance ne m’est pas mieux connue que sous l’idée d’une substance qui ne sauroit être divisée par aucune puissance naturelle ; je ne comprends pas comment ces êtres indivisibles pensent, ni comment ils peuvent exercer d’autres facultés, ni même quelles sont les qualités ou facultés qu’ils ont. Je ne connois donc pas toutes les facultés des êtres soit matériels, soit immatériels, ni leur manière d’opérer. Sur quoi donc puis-je déterminer, comment ce dont je n’ai point d’idée affecte l’action ou la faculté d’un autre être dont je n’ai point non plus d’idée, comment cette faculté s’exerce, comment elle réside dans son sujet, en un mot en quoi consiste son essence ?

3o. M. Clarke dit » qu’il n’y a point de puissance naturelle capable d’agir sur les qualités inhérentes ni sur les modes d’un être indivisible, parce que, si elle agissoit sur ces qualités ou modes, ce ne seroit qu’en produisant quelque changement dans la substance même de cet être, c’est-à-dire, dans la disposition de ses parties & que cela ne peut pas arriver à l’égard d’un être qui n’a point de parties ».

Je demande à M. Clarke si Dieu ne peut pas détruire un mode ou une qualité d’un être immatériel, sans produire aucun autre changement dans la substance même de cet être. S’il convient que Dieu le peut, alors il n’y a point de répugnance dans la nature de la chose, qu’un mode, ou une qualité, puisse être détruit sans qu’il arrive aucun autre changement à la disposition des parties de la substance qui sert de sujet à ce mode ou à cette qualité.

Si M. Clarke dit que Dieu peut détruire un mode ou une qualité d’un être immatériel, sans produire aucun autre changement dans la substance de cet être, mais qu’il n’y a point de créature qui puisse la même chose, quelque vertu ou pouvoir qu’elle reçoive de Dieu ; je le prierai alors de vouloir bien tirer de ses principes un argument qui prouve qu’une créature ne peut pas agir sur les qualités ni sur les modes d’un être immatériel, sans produire quelque changement dans sa substance & qui ne démontre pas aussi légitimement que Dieu même ne le peut pas à moins qu’il n’anéantisse le sujet de ces modes ou qualités. Si l’indivisibilité d’un être immatériel fait que ses qualités ne peuvent cesser par l’action des êtres créés sur lui, elle doit de même empêcher que Dieu puisse faire cesser simplement les qualités de l’être immatériel & indivisible. Car suivant M. Clarke, Dieu ne peut pas plus produire du changement dans les parties d’une fubstance immatérielle, qu’aucune créature.

M. Clarke niera peut-être que Dieu puisse détruire un mode ou une qualité d’un être immatériel, sans causer quelque changement dans la substance de cet être. Et je répondrai que si Dieu peut causer quelque changement dans les parties de la substance de cet être en détruisant une faculté ou qualité qu’il y avoit ajoutée, cette substance immatérielle est aussi réellement divisible par la puissance de Dieu, qu’aucun être matériel. Ainsi tous les raisonnemens par lesquels notre habile théologien s’efforce de prouver que la matière est incapable de penser, se tournent contre lui : car le changement de parties dans une substance finie, est une marque aussi évidente de divisibilité, que la solidité. Enfin M. Clarke dira-t-il que Dieu ne peut détruire aucune faculté ni qualité d’une substance immatérielle, sans annihiler le sujet même ? Comment prouvera-t-il que Dieu qui a pu ajouter une fa-