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bienfaisante qui protége, & qui nourrit les hommes ; & les autres l’eau & le feu, parce que la rapidité, & la force invincible de leur action, est un bel emblême de la manière dont l’Être tout-puissant opére dans le monde. C’est la remarque de Maxime de Tyr.[1]

« Les premiers hommes dit-il, ont consacré pour simulacres à Jupiter le sommet des plus hautes montagnes, comme de l’Olympe, & du mont Ida. Dans d’autres endroits on honore les fleuves. C’est ainsi que les égyptiens vénérent le Nil, à cause de son utilité. Les Thessaliens le Pénée, à cause de sa beauté, & les scythes le danube à cause de sa grandeur. Les barbares admettent tous une divinité ; mais chaque peuple a des simulacres différens. Parmi les perses c’est le feu, cet élément vorace & insatiable qui ne dure qu’un jour. Ils lui rendent un culte religieux, & en jettant dans le feu des matières combustibles, ils lui disent, dévore, ô seigneur ! Les Celtes adorent aussi Dieu, mais le simulacre de Jupiter est parmi eux un grand chêne. Les péoniens servent le soleil, dont le simulacre est au milieu de ce peuple, un petit disque, attaché à une longue perche. Les phrygiens qui demeurent dans le voisinage de la Ville de Celene, servent les deux fleuves appellés Marsias, & Meandre, que j’ai eu occasion de voir. Ils jettent dans l’eau les cuisses de la victime, en célébrant le nom du fleuve, auquel ils ont offert le sacrifice. Les cappadoces donnent à une montagne le nom de dieu ; ils jurent par cette montagne, & la regardent comme un simulacre du dieu qu’ils adorent. Les peuples qui demeurent autour du Palus-Meotide, ont la même vénération pour ce lac, & les massagetes pour le tanaïs ». Clément d’Alexandrie cite aussi le passage d’un ancien historien, nommé Dinon, qui porte,[2] que les perses, les medes, & les mages, regardoient le feu, & l’eau, comme seuls simulacres des dieux.

J’avoue que j’ai été long-tems dans une opinion peu différente de celle des auteurs que je viens de citer. Comme il est certain, 1o. que les peuples scythes & Celtes tenoient leurs assemblées civiles & religieuses en plein air, sur de hautes montagnes, dans des forêts, près des fleuves, & des fontaines, autour d’un monceau de pierres, &c. 2o. qu’ils donnoient à leurs sanctuaires le nom du dieu qui y étoit adoré, j’ai crû qu’on les avoit accusés, par ces raisons, d’adorer des montagnes, des arbres, des fleuves, des fontaines, des pierres. J’ai soupçonné encore qu’on les accusoit d’adorer le feu, parce que tenant la plûpart de leurs assemblées de nuit, ils avoient accoutumé d’y porter chacun sa chandelle, ou son flambeau, & de s’y chauffer pendant le service autour d’un grand feu. Mais je me suis apperçu que je m’étois trompé, & que mes conjectures n’étoient pas plus fondées, que celles que j’ai rapportées dans le paragraphe précédent. Ces peuples jettoient dans les fleuves & dans les fontaines une partie des victimes qu’ils avoient immolées, ils faisoient[3] aspersion de leur sang sur les arbres consacrées, ils fournissoient des alimens au feu en lui disant, dévore ô seigneur ! De semblables superstitions prouvent qu’ils ne croyoient pas que le feu, l’eau, & les arbres, fussent de simples images de la divinité.

Le véritable fondement du culte que les peuples Celtes rendoient aux différentes parties du monde visible, c’est l’opinion où ils étoient que chaque élément, chaque être corporel, étoit le siége, ou le temple d’une divinité subalterne qui y résidoit, qui en dirigeoit les opérations, & qui en faisoit, pour ainsi dire, l’instrument de sa libéralité envers les hommes. C’étoit proprement à cette intelligence, & non à l’objet visible, qu’ils rendoient un service religieux. J’ai déjà produit quelques preuves de cette vérité. Il sera bon de rapporter aussi ce que les habitans de l’isle de Thulé pensoient sur cet article, du

  1. Primi homines consecrarunt jovi simulacra ἀγάλματα cacumina montium, Olympi, Idæ, & si quis alius mons cœlo propinquat. Est & alicubi fluviis suus honos, aut utilitatis causa, ut Nilo, apud Ægyptios, aut pulchritudinis, ut Penæo apud Thessalos, aut magnitudinis, ut Istro apud Scythas. Barbari omnes Deum quidem admittunt, signa vero alii alia. Ignem Persæ quotidianum élementum, voracem, insatiabilem. Illi sacra faciunt, alimenta ei subministrantes, dicentes, comede, o Domine. Celtæ colunt quidem Deum, Jovis autem simulacrum aped eos, alta quereus. Pæones solem colunt, simulacrum solis pæonicum, brevis discus perticæ longissimæ affixus. Qui Celænas accolunt Phryges, fluvios duos Marsyam colunt & Mæandrum, quorum ipse spectator fui. Femora victimæ in fontes injiciunt, celebrantes nomen fluvii cui victimas macierunt. Mons Cappadocibus & Deus, & juramentum, & simulacrum. Palus Mæotis, & Tanaïs, Massagetis. Maxim. Tyr. Diss. 8. p. 451-460.
  2. Ignem alii Vulcanum nominant. Persarum magi Ignem colunt, multique Asiæ incolæ, nec non Macedones, ut refert Diogenes in primo persicorum. Quid Sauromatas referam, quos Nymphodorus in moribus barbarorum, ignem colere narrat, vel Persas, & Medos, & Magos. Eos Dino sit sub dio mactare, existimentes ignem & aquam, sola Deorum esse simulacra. Clem. Alex. Cohort. ad. gent. p’’. 56.
  3. J’aurai occasion de parler de cette coutume en représentant les cérémonies de la religion des Celtes.