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Pline ne sauroit comprendre[1] que les peuples de la Grande-Bretagne, étant si éloignés des Perses, ne laissassent pas de leur ressembler parfaitement à cet égard. On en voit bien la raison. Sans se connoître, sans avoir ensemble aucun commerce, ils tenoient ces abus de la même source.

Il ne sera pas inutile de rappeller ici une réflexion que j’ai déjà indiquée, mais qui est éclaircie & confirmée par ce qui vient d’être remarqué. Puisque les peuples Celtes rendoient tous un culte religieux aux élémens, il est facile de comprendre, après cela, ce qui a donné le change à ceux des anciens qui assurent que ces peuples adoroient Apollon, Neptune, Vulcain, Diane & les nymphes, ils vénéroient effectivement le soleil, l’eau, le feu, les forêts, &c. Cette vénération étoit fondée sur la persuasion qu’une divinité réside dans les élémens. Mais ils n’avoient pas, sur le sujet de ces divinités, les mêmes idées que les Grecs & les Romains. Neptune, par exemple, n’étoit pas un homme qui eut été mi au rang des dieux après sa mort, & chargé de l’empire de la mer ; mais une intelligence émanée du premier principe, qui n’avoit jamais eu d’autres corps, que l’élément même de l’eau.

Continuons d’examiner les principaux points de la théologie des Celtes, & voyons présentement quelles étoient leurs idées par rapport à l’unité de Dieu, en tant que ce dogme est opposé, soit au polythéisme des gentils, soit à l’opinion des deux principes. Il est certain que les peuples Celtes reconnoissoient tous un Dieu suprême, & nous verrons dans la suite qu’ils le regardoient comme le créateur, tant des corps, que des esprits qui leur sont unis. Selon Jules César, les Gaulois servoient principalement Mercure. Tacite dit la même chose des[2] Germains. D’autres ont prétendu, à la vérité, que c’étoit Mars qui passoit parmi les Germains pour le plus grand des dieux. Procope l’assure en parlant des peuples qui demeuroient dans l’isle de Thulé ; & Tacite lui-même, rapportant le discours qu’un ambassadeur des Tenchtères adressa aux habitans de la ville de Cologne, le fait parler de cette manière.[3] Nous rendons grâces à nos dieux communs, & à Mars, le plus grand des dieux, que vous soyez réunis au corps des peuples Germains, & que vous en ayez repris le nom. Mais la difficulté n’est pas considérable, parce que les noms de Mars & de Mercure, inconnus dans la Celtique, n’étoient employés que par des étrangers, & désignoient constamment le même Dieu. J’aurai occasion de le prouver dans la suite : il suffira de remarquer ici, qu’entre les dieux que les Germains servoient, il y en avoit un qu’ils appelloient[4] le maître de l’univers, auquel tout est soumis & obéissant.

Hérodote, parlant des Thraces, dit[5] que quand il faisoit du tonnerre & des éclairs, ces peuples avoient accoutumé de tirer des flêches contre le ciel, comme pour menacer la divinité, parce qu’ils étoient dans l’opinion qu’il n’y avoit point d’autre Dieu que le leur. Ailleurs il s’exprime de cette manière[6] Mars, Bacchus & Diane sont les seuls dieux auxquels les Thraces rendent un culte religieux. Outre ces divinités, les rois servent encore Mercure. Il est celui de tous les dieux pour lequel ils ont la plus grande vénération. Ils ne jurent que par son nom, & prétendent même en être issus. Il est vrai qu’Hérodote fait raisonner les Thraces d’une manière tout-à-fait étrange. Ils reconnoissoient un Dieu, ils soutenoient qu’il n’y en avoit point d’autre ; à cause de cela ils étoient assez extravagans, ou assez impies, pour le menacer quand il lançoit la foudre. Il est vrai encore qu’il y a de la contradiction entre les deux passages que je viens de citer. Si les Thraces ne croyoient pas qu’il y eut d’autre Dieu que leur Mercure (car c’est de lui qu’il s’agit à cet endroit), comment pouvoit-on leur attribuer encore le culte de Mars, de Bacchus & de Diane. Mais on voit au moins dans ces passages, que les Thraces servoient une certaine divinité préférablement à toutes les autres, && qu’ils ne juroient que par son nom. C’étoit aussi l’idée des Scythes. Ils croyoient qu’il ne faut consacrer des simulacres, des autels & des temples qu’au dieu Mars.

Non-seulement les peuples Scythes & Celtes admettoient un premier principe, un Dieu suprême ; ils l’appelloient encore, dans un certain sens, le vrai & le seul Dieu. Ainsi les

  1. Plin. H. N. L. 30, cap. 1. p. 728.
  2. Deorum maxime Mercurium colunt. Tacit. Germ. cap. 9.
  3. Redisse vos in corpus nomenque Germaniæ, communibus Deis, & præcipue Deorum Marti, grates agimus. Tacit. Hist. 4; 64.}}
  4. Regnator omnium Deus, cetera subjecta, atque parentia. Tacit. Germ. cap. 39.
  5. Thraces, dum tonat & fulgurat, in cœlum sagittas, excuntiunt, Deos minitantes, quod nullum alium præter suum esse arbitrantur. Herodot. 4. 94.
  6. Deos autem hos solus colunt, Martem, Liberum, Dianam. Sed reges, præter populares, etiam Mercurium colunt, e Diis præcipue, per quem solum jurant, à quo progenitus se quoque aiunt. Herodot. v. 7.