Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Turcs, quoiqu’ils vénérassent le feu, l’air, l’eau & la terre, ne laissoient pas de soutenir, en même-tems, qu’ils n’adoroient & n’appeloient Dieu, que celui qui a fait le ciel & la terre. Les Thraces aussi disoient qu’il n’y avoit point d’autres Dieu que le leur. Nous avons montré par un passage de Procope, que les Sarmates tenoient le même langage. Ils faisoient profession de ne reconnoître qu’un seul Dieu qui lance le tonnerre, & qui est le maître de l’univers ; mais ils ne laissoient de rendre un culte religieux aux fleuves & aux nymphes. Les Sarmates s’exprimoient encore de la même manière du tems d’Helmodus, c’est-à-dire, dans l’onzième siècle.[1] Ayant des dieux de différens ordres, ils ne disconvenaient pas qu’il n’y eut dans le ciel un Dieu unique, duquel tous les autres dépendoient.

Ne reconnoître qu’un seul Dieu, & avoir en même-tems plusieurs objets du culte religieux, il semble qu’il y ait là de la contradiction. Il ne faut pas douter que les Celtes ne se tirassent d’affaire par quelque distinction semblable à ce que l’on appelle aujourd’hui le culte de Latrie & de Dulie. Si les tems & les termes ont changé, les idées sont à peu-près les mêmes. Quoi qu’il en soit, je trouve que saint-Augustin[2] met expressément les philosophes Perses, Scythes, Gaulois & Espagnols, au nombre des sages qui ont reconnu un Dieu suprême.

Les Celtes n’adoroient donc pas plusieurs dieux égaux en puissance & en dignité, mais un seul Dieu souverain, avec un grand nombre de divinités subalternes. La justice veut qu’on les décharge encore du polythéisme à deux autres égards.

1o. On a multiplié sans raison le nombre de leurs dieux, en faisant autant de divinités particulières de ce qu’on appelle les dieux topiques, ou locaux. Pour comprendre ma pensée, il faut se souvenir de ce que j’ai déjà dit, que ces peuples donnoient à leurs sanctuaires le nom du Dieu qui y étoit adoré. Un homme, par exemple, qui alloit faire ses dévotions dans une forêt consacrée au Dieu Teut, ou consulter les sacrificateurs qui prédisoient à son culte, disoit qu’il alloit trouver Teut. Mais pour distinguer les sanctuaires, on leur donnoit quelque dénomination particulière, prise de la situation du lieu, ou de quelque autre circonstance. Ainsi le Dieu Pénius n’étoit pas une divinité particulière, mais le Dieu qui avoit un sanctuaire sur le sommet des Alpes. Le mot de Pinne ou de Penne, désigne encore aujourd’hui la pointe, ou la cime d’une chose, tant en Allemand, qu’en Bas-Breton. Tout de même l’Apollon Grinaus des Mésiens établis en Asie, n’étoit pas un Dieu particulier. C’étoit le nom d’un sanctuaire, que les Mésiens appelloient le soleil verd,[3] parce qu’on y offroit des sacrifices au soleil dans un bocage les arbres ne perdoient point leur verdure, & où la terre étoit toujours couverte de fleurs.

2o. Si l’on examine avec attention la théologie des Celtes, on reconnoîtra aussi qu’à proprement parler ils ne regardoient pas les élémens, ni les différentes parties de l’univers, comme des dieux. Ils disoient que l’être visible est le temple où la divinité réside, le corps qu’elle anime, l’écorce où elle s’enveloppe, l’instrument qu’elle met en œuvre. Ils plaçoient leurs dieux dans les élémens, de la même manière que les autres payens les croyoient présens dans les temples, & dans les idoles qu’ils leur consacroient ; mais ils distinguoient toujours le temple de la divinité qui y fait sa demeure, les intelligences spirituelles des corps célestes ou terrestres qu’elles animoient.

Ce n’est cependant que jusques-là, & à ces différens égards, que je prétends justifier les Celtes du Polythéisme. Il faut avouer au reste qu’ils adoroient, avec le Dieu suprême, un grand nombre d’intelligences, qui avoient été produites, comme ils le croyoient, par l’être infini, & unies aux différentes parties de la matière, pour les animer, & pour les conduire aux fins que sa sagesse s’étoit proposées. La question se réduit donc uniquement à savoir quelle idée les peu-

  1. Inter multiformia Deorum Numina… non diffirentur unum Deum in cœlis, cetera imperitantem. Helmold. 1. cap. 84. p. 182.
  2. Quicunque igitur philosophi de Deo summo & vero ista senserunt, quod & rerum creatorum sit effector, & lumen cognoscendarum, & bonum agendarum : quod ab illo nobis sit, & principium naturæ, & veritas doctrinæ, & felicitas vitæ : sive Platonici accomodatius nuncupentar, sive quodlibet aliud sectæ suæ nomen imponant : sive tantummodo tonici generis, qui in eis præcipui fuerunt, ista senserunt, sicut idem Plato & qui eum bene intellexerunt : sive etiam Italici propter Pytharogam, & Pythagoreos, & si qui forte alii ejusdem sentenciæ indices fuerunt : sive aliarum quoque gentium, qui sapientes vel philosophi habiti sunt, Atlantici, Lybici, Ægyptii, Indi, Persæ, Chaldæi, Scythæ, Galli, Hispani, aliique reperiuntur, qui hoc viderint ac docuerint, eos omnes ceteris anteponimus, eosque nobis propinquiores fatemur. Augustin. de Civ. De, lib. ?? cap. 9. p. 465.
  3. His tibi Grynæi nemoris dicatur origo.
    Ne quis sit Iucus quo se plus jactet Apollo.
    zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzVirgilius Eclog. 6. vs. 72.

    A Gryna, Mœsiæ civitate, ubi est locus arboribus multis jucundus, gramine floribusque varijs omni tempore vestitus. Servius ad h. l. p. 35. Grun, en Tudesque, signifie verd.