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ruption du mot de diable, les Allemands appellant encore aujourd’hui le démon, debel, deubel ou teufel. Il faut étendre la même réflexion aux Sarmates qui portoient le nom de Slaves, & qui n’étaient séparés des Saxons, que par le fleuve de l’Elbe. Le mauvais principe portoit parmi eux le nom de[1] diabol ou Zcerneboch, qui désigne le dieu noir. Ce fut par une méprise à-peu-près semblable, que saint Gui, ou saint Vite, devint parmi les mêmes Sarmates, une grande divinité.[2] Des missionnaires, sortis du célèbre monastère de[3] Corbie, leur ayant vanté les miracles de ce saint, qui étoit le patron de leur abbaye, les Slaves, après être retombés dans le paganisme, en firent une divinité qu’ils appellèrent Suentevith, & qu’ils servirent comme un Dieu du premier ordre.

On attribue assez généralement aux Perses d’avoir reconnu deux principes éternels, l’un bon, & l’autre mauvais. Le lecteur permettra que je le renvoie sur cet article à ce que M. de Beausobre en a dit, dans son histoire du Manichéisme. J’ajouterai seulement que l’on ne voit aucune trace de ce dogme dans ce que les plus anciens auteurs, comme Hérodote & Ctésias, ont dit de la religion des Perses. Autant que je puis le savoir, Plutarque est le premier qui en ait fait mention. Il assure positivement, que Zoroastre appella le Dieu bienfaisant Oromazes, & le malfaisant Arimanius. Entre les deux principes, il en plaçait un autre qui s’appelloit Mithra. C’est pourquoi les Perses donnent encore aujourd’hui à Mithra le nom de médiateur. Selon les apparences, cette opinion avoit été apportée en Perse, non de la Scythie, comme M. de Leibnitz l’a soupçonné, elle y étoit parfaitement inconnue, mais des Indes où elle étoit généralement reçue. Hérodote remarque, à la vérité,[4] que la reine Amestris, femme de Xercès, se voyant parvenue à un âge fort avancé, fit enterrer vivans quatorze jeunes seigneurs, comme un sacrifice d’action de graces au Dieu que l’on place sous terre. Mais il est assez probable que cette manière d’enterrer des hommes vivans fit soupçonner à l’historien Grec, que le sacrifice avoit été offert à Pluton, quoique ce Dieu fut inconnu aux Perses. C’est en consequence du même préjugé[5] que Plutarque assure aussi que ces jeunes gens furent offerts à Pluton.

Je vais parler présentement du Dieu suprême que les Celtes adoroient, des noms par lesquels ils le désignoient, & des prérogatives qu’ils lui attribuoient. Je passerai ensuite aux principales divinités que ces peuples plaçoient dans les élémens. Et enfin j’examinerai s’ils rendoient quelque culte aux ames des héros, & s’il est vrai qu’ils vénérassent même Hercule, Bacchus, & d’autres héros étrangers, que l’on avoit mis, après leur mort, au rang des dieux.

Il est surprenant que, depuis qu’on a commencé d’écrire sur la religion des Celtes, personne ne se soit apperçu que ces peuples adoroient tous un Dieu suprême, qui portoit le même nom dans toute la Celtique, & auquel on attribuoit partout les mêmes prérogatives sur les autres divinités. Je dois le prouver dans cet article, & j’espère que le lecteur ne me saura pas mauvais gré, si j’entre dans quelque détail pour établir cette vérité. D’un côté elle est nouvelle, & à-peu-près inconnue, & de l’autre elle confirme merveilleusement ce que j’ai dit en plusieurs endroits de cet article, que l’Europe étoit autrefois habitée par un seul & même peuple.

Le nom que tous les peuples de l’europe donnoient anciennement au premier principe, c’est celui de teut ou tis, d’où a été formé ce-



    atrum aiebant, colebatur, ne nuceret. Fabric. Orig. Saxon. lib. 1 apud Vossium de Orig. & Prog. Idol. lib. 1. cap. 8. p. 31.

    Quem Slavi Zcerneboch, hunc Saxones antiqui, si audimus Fabricium in Saxonia sua, vocant Tybilenum, imo ut ait hodie que sic malum dæmonem nuncupant. Vossius ub. sup. lib. 1. cap. 38. p. 142. Vossius reconnoît dans le même endroit que le nom de Tybilenus a été pris de celui de Diabolus.

  1. Slavi omnem prosperam fortunam a bono Deo, adversam à malo dirigi profitentes, ideo etiam malum Deum sua lingua Diabol, sive Zcerneboch, id est nigrum Deum appellant. Helmold. Chron. Slav. lib. 1. cap. 53. p. 116.
  2. Prædicantes itaque verbum Dei cum omni fiducia, omnem illam insalam (Rugianorum) lucrati sunt, ubi etiam oratorium fundaverunt in honorem Domini ac Salvatoris nostri Jesu Christi, & in commemorationem sancti Viti, qui est patronus Corvejx. Postquam autem, permittente Deo, & mutatis rebus, Rani a fide defecerunt, statim, pulsis sacerdotibus, atque Christicolis, religionem venerunt in superstitionem. Nam sanctum Vitum, quem nos Martyrem, ac servum Christi confitemur, ipsi pro Deo venerantur, creaturam anteponentes Creatori.}} Helmold. lib. 1. cap. 6. p. 15. & cap. 53. p. 116. &
  3. Il s’agit de la nouvelle Corbie. Corwey, en Westphalie.
  4. Nam & Amestrin, Xerxis uxorem, jam provectæ ætatis, audio bis septem illustrium Persarum liberos defodiste, ad referendam pro se gratiam Deo qui sub tetra esse fertur. Herodot. lib. 7. cap. 124.
  5. Amestris , quæ Xerxis fuit uxor, Plutoni duodecim pro se vivos homines defodit. Plutarch. de Superfl. T. 2. p. 172.