Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ples Celtes avoient de ces intelligences, qui étoient chargées de quelque district, ou de quelque fonction particulière. Les regardoient-ils simplement comme des anges, c’est-à-dire, comme des esprits, qui n’agissant que par les ordres, & sous la direction du Dieu suprême, en vertu de la puissance qu’il leur communique, ne méritent aucun culte religieux, pour des graces & des délivrances, dont ils ne sont que les ministres & les instrumens ; ou comme des divinités subalternes, qui, participant à la puissance & à l’empire du Dieu souverain, méritent par cela même d’être associées à sa gloire, & au culte religieux qu’il reçoit des hommes ? Quelques savans semblent avoir préféré la première de ces opinions.

Ils disent, par exemple, que les Perses assignoient à chaque royaume un ange protecteur ; que chaque mois, chaque jour de l’année, étoit sous la direction d’un ange. On ne balancera pas d’embrasser la seconde, si on veut se rappeller ce qui a fait la matière des paragraphes précédens. Les Perses, comme les Scythes & les Celtes, donnoient le nom de Dieu aux intelligences qu’ils plaçoient dans les élémens ; ils les invoquoient, leur demandoient des graces, les consultoient sur l’avenir, & leur offroient des sacrifices. Tout cela prouve, qu’ils les regardoient comme des divinités inférieures, à la vérité, à l’être éternel, mais qui ne laissoient pas d’être souveraines dans leur district, & d’avoir une supériorité assez grande sur l’homme, pour mériter son culte & ses hommages.

À l’égard de l’opinion des deux principes, je ne vois pas que ceux qui l’attribuent aux Celtes, ayent appuyé leur thèse sur des preuves solides, ni seulement sur des conjectures qui approchent de la vraisemblance.

1o. Hérodote, dans un passage que je viens de citer, dit que quand il faisoit du tonnerre, & des éclairs, les Thraces tiroient des fléches contre le ciel, comme pour menacer la divinité, parce qu’ils étoient dans l’opinion, qu’il n’y avoit point d’autre Dieu que le leur. Il semble que l’on entrevoit dans ces paroles que les Thraces regardoient le tonnerre & la foudre comme l’ouvrage d’une divinité malfaisante qu’ils menaçoient, & qu’ils défioient à coups de fléches, comme étant eux-même sous la protection du seul Dieu tout puissant. Mais cette conjecture est démentie par les paroles mêmes de l’historien, qui assure que les Thraces soutenoient qu’il n’y avoit point d’autre Dieu que le leur. Nous verrons ailleurs ce que c’étoit que ces prétendues menaces qu’il faisoient à leur Dieu, en tirant contre le ciel.

2o. Hagenberg a cru que les Germains admettoient un bon & un mauvais principe.[1] Il en donne pour preuve ce passage de Tacite.[2] » On montre dans le pays des Naharvales un bocage où règne une ancienne superstition… La divinité qui y est servie, s’appelle Alcis. Ils prétedent que c’est le même Dieu que les Romains vénéroient sous le nom de Castor & Pollux. On n’y voit ni simulacre, ni vestige d’une superstition venue d’un pays étranger. Tout ce que cette superstition a de commun avec celle des Romains, c’est que l’on y vénère deux jeunes hommes que l’on estime frères ». Mais ce n’est là qu’une conjecture hasardée, & destituée de tout fondement, qui ne mérite pas que l’on s’arrête à la réfuter.

3o. Saint-Augustin parle aussi de certains[3] démons, que les Gaulois appelloient Dusii, & il assure, après plusieurs témoins dignes de foi, que ces malins esprits aimoient les femmes, n’épargnoient rien pour les corrompre, & en venoient à bout. On sait que plusieurs pères de l’église ont soutenu cette fable, sans admettre pour cela l’opinion des deux principes. D’ailleurs la remarque d’Isidore de Séville, qui dit[4] que les Gaulois appelloient ces Dusii, les velus, (pilosos) montre clairement que c’étoient les satyres des Grecs.

On ne peut pas disconvenir, à la vérité, que dans le VIII siècle du christianisme, les Saxons & les Sarmates qui leur étoient voisins, ne servissent un Dieu mauvais. Mais il est constant que ce culte ne s’introduisit parmi eux, que lors qu’on eut commencé de leur annoncer la religion chrétienne. Comme les prédicateurs leur parloient continuellement de la puissance redoutable du démon, & de l’étendue de son empire, ces peuples mal instruits, le regardèrent comme une véritable divinité, & se crurent obligés de le servir, afin qu’il ne leur fit point de mal. Aussi les Saxons le nommoient-ils[5] le Dieu noir, ou Tybilenus, ce qui est manifestement une cor-

  1. Hagenberg. German. Med. Diss. 8. p. ??
  2. Tacit. Germ. cap. 43. J’ai suivi la version de d’Ablancourt qui, étant un peu libre, ne laisse pas de bien exprimer le sens de l’original.
  3. Quosdam Dæmones, quos Dusios Galli nuncupant, hanc assidue immunditiam & tentare & efficere, plures talesque asseverant, ut hoc negare impedentiæ videatur. Augustin. de Civit. Dei, lib. 15. cap. 23. p. 153. Hesychius dit que les Illyriens appelloient les Satyres Δευάδαι.
  4. Isidor. Orig. lib. 8. cap. ult.
  5. Ante tempora Karoli magni, Saxonibus, præter Tinnum Deum, & Deam Sibam, malus Deus, quem