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AIR

ture des fluides élaſtiques qui compoſent la couche inférieure de l’air atmoſphérique que nous habitons. Pour cet effet, il faut faire l’analyſe de cet air, de la même manière qu’on analyſe les ſubſtances dont on veut déterminer la nature des parties conſtituantes, c’est-à-dire, qu’il faut employer les deux moyens connus ſous le nom de compoſition & de décompoſition. Or, en ayant recours à cette double méthode, on trouvera que l’air atmoſphérique eſt formé de deux fluides élaſtiques, l’un reſpirable & l’autre qui ne l’eſt pas, le premier nommé air vital (ou air déphlogistiqué, gaz oxigène, &c.,) le ſecond mofette (gaz azote).

Cette aſſertion qui a l’air d’un paradoxe, demande d’être rigoureuſement prouvée, & c’eſt ce que nous allons faire par les expériences ſuivantes. M. Lavoiſier ayant pris un matras Α, figure 149, de 36 pouces cubiques environ de capacité, dont le col B C D E étoit courbé, afin de pouvoir engager ſous la cloche G ſon extrémité E, tandis que le matras ſeroit placé dans un fourneau M M N N, introduiſit dans ce matras quatre onces de mercure très-pur. La cloche F G étoit placée dans un bain de mercure R R S S. En ſuçant avec un ſyphon introduit ſous cette cloche par une extrémité, on vint à bout d’élever le mercure juſqu’en L L. On marqua enſuite exactement cette hauteur avec une bande de papier collé, & on obſerva en même temps le baromètre & le thermomètre. Après on alluma le feu dans le fourneau, & on l’entretint pendant douze heures ; de ſorte que le mercure fut échauffé juſqu’au degré néceſſaire pour le faire bouillir.

Le premier jour on obſerva quelques goutelettes de mercure qui tapiſſoient l’intérieur des vaiſſeaux & qui retombèrent enſuite, le ſecond jour on commença à voir nager ſur la ſurface du mercure de petites parcelles rouges qui, pendant quatre ou cinq jours, augmentèrent en nombre & en volume ; après quoi elles ceſſèrent de groſſir, & reſtèrent abſolument dans le même état. Au bout de douze jours, comme la calcination du mercure ne faiſoit plus aucun progrès, on éteignit le feu & on laiſſa refroidir les vaiſſeaux. Le volume de l’air contenu tant dans le matras que dans ſon col & ſous la partie vide de la cloche, réduit à une preſſion de 28 pouces & à 10 lignes du thermomètre, étoit, avant l’opération, de 50 pouces cubiques environ. L’opération étant finie, ce même volume, à preſſion & à température égales, ne ſe trouva plus que de 42 à 43 pouces. Il y avoit eu par conſéquent une diminution de volume d’un ſixième environ. D’un autre côté, on raſſembla ſoigneuſement les ſeules parcelles rouges, qui ſe trouvèrent d’un poids de 45 grains.

L’air reſtant après l’opération, & réduit au cinq ſixièmes de ſon volume, par la calcination du mercure, n’étoit plus propre à la reſpiration ni à la combuſtion ; car les animaux qu’on y introduiſoit, y périſſoient en peu d’inſtans, & les lumières s’y éteignoient ſur le champ.

D’un autre côté, les 45 grains de matière rouge formée pendant l’opération, furent introduits dans une très-petite cornue de verre à laquelle étoit adapté un appareil propre à recevoir les produits liquides & aériformes qui pouvoient ſe ſéparer. Le feu étant allumé dans le fourneau, on obſerva qu’à meſure que la matière rouge étoit échauffée, ſa couleur augmentoit d’intenſité. La cornue approchant enſuite de l’incandeſcence, la matière rouge commença à perdre peu-à-peu de ſon volume, & en quelques minutes elle diſparut entièrement ; en même temps il ſe condenſa dans le petit récipient 41 grains ½ de mercure coulant, & il paſſa ſous la cloche 7 à 8 pouces cubiques d’un fluide élaſtique, beaucoup plus propre que l’air de l’atmoſphère à entretenir la combuſtion & la reſpiration des animaux. Une bougie plongée dans cet air répandoit un éclat éblouiſſant, un charbon y brûloit avec une flamme très-brillante & avec décrépitation.

Cette expérience prouve donc que le mercure en ſe calcinant, abſorbe la partie ſalubre & reſpirable de l’air, ou plus exactement la baſe de cette partie reſpirable ; que la portion d’air qui reſte eſt une eſpèce de mofette, incapable d’entretenir la combuſtion & la reſpiration ; & conſéquemment elle démontre que l’air atmoſphérique eſt compoſé de deux fluides élaſtiques de nature différente, & pour ainſi dire, oppoſée.

Une autre preuve de cette importante vérité, c’eſt qu’en recombinant les deux fluides élaſtiques qu’on a ainſi obtenus ſéparément, c’eſt-à-dire, les quarante-deux pouces cubiques de mofette, ou air non reſpirable, & les huit pouces cubiques d’air reſpirable, on reforme de l’air, en tout ſemblable à celui de l’atmoſphère, & qui eſt propre à-peu-près au même dégré, à la combuſtion, à la calcination des métaux & à la reſpiration des animaux. La proportion de ces deux airs qui compoſent l’air atmoſphérique, eſt ainſi qu’on l’a prouvé dans le rapport de 73 à 27, au moins pour les climats que nous habitons.

On remarquera, avec M. Lavoiſier, 1o. que l’affinité du mercure pour la base de la partie reſpirable de l’air, n’eſt pas aſſez grande pour qu’elle puiſſe vaincre entièrement les obſtacles qui s’oppoſent à cette combinaiſon ; obſtacles qui ſont l’adhérence des deux fluides conſtitutifs de l’air de l’atmoſphère, & la force d’affinité qui unit la baſe de l’air vital au calorique. C’eſt pourquoi la calcination du mercure finie, ou au moins portée auſſi loin qu’elle peut l’être, dans une quantité d’air déterminée, il reſte encore un peu d’air reſpirable combiné avec la mofette, le mercure ne pouvant en ſéparer cette dernière portion.