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DÉSIR


collectifs. Autant il y a d’êtres et d’objets divers en rapport avec une nature donnée, autant il y a de genres de désirs dans cette nature plus le cercle de la vie s’élargit, plus nécessairement les désirs doivent augmenter en nombre, en variété et en intensité, puisque les désirs ne sont autres que la manifestation de cette vie. En effet, l’intensité de la vie est proportionnelle à l’intensité de l’activité, qui elle-même l’est au degré des désirs ou de l’amour. C’est en ce sens qu’on a pu dire avec une grande justesse : Les attractions sont proportionnelles aux destinées, entendant par destinée aussi bien les désirs qu’il aura fallu contenir ou priver par respect pour la loi morale, que ceux qu’on aura légitimement satisfaits en vertu de cette même loi. Quoi qu’il en soit, vu cette multiplicité, entreprendre l’inventaire des désirs divers déposés dans l’âme humaine serait impraticable, et en réalité fort peu utile. La seule distinction importante à introduire dans les désirs est celle entre les désirs primitifs, ou naturels, et les désirs secondaires, artificiels ou acquis. Les premiers, inhérents a notre constitution, sont le partage de toutes les âmes, le fond commun de tous les caractères ; bien que départis à chacun, à des degrés et selon des combinaisons toujours différentes, propres à trancher les individualités dans le même genre on la même espèce. Leur cause efficiente est dans la volonté de Dieu : ainsi nous sommes faits, voilà tout ce qu’on en peut dire. Leur cause occasionnelle est en nous et en dehors de nous, l’âge, le sexe, l’imagination, la saison, le tempérament, la présence de l’objet du désir, en un mot les circonstances et les conditions de la formation et de l’explosion. Leur cause finale la plus prochaine paraît être de donner un aliment et un but à notre activité, et par là de nous mettre dans les conditions de la croissance et du développement de toutes nos énergies et facultés ; enfin, d’offrir de continuelles occasions au mérite et à la vertu, en plaçant souvent l’homme entre un désir à sacrifier ou un péché à commettre.

Les désirs de cette catégorie viennent tous se résoudre dans quatre grands désirs généraux désir d’ambition ou de puissance ; désir de science, de connaissance ou de curiosité désir d’affections ou de sympathies sociales désir de conservation, de bien-être, de satisfaction des sens. Nos désirs sont l’expression et en quelque sorte les messagers et pourvoyeurs de nos besoins. Or, quels sont nos besoins sous leur forme la plus générale ? Pouvoir, connaître, sentir et sympathiser le plus possible. Que se proposent nos désirs ? Développer notre nature ; et, qu’y a-t-il dans notre nature au-delà d’un certain nombre de sympathies ou de penchants sociaux qui veu-


lent s’épancher, et s’unir aux êtres qu’ils cherchent au-delà d’une intelligence curieuse qui veut la lumière, la vérité, la science ; au delà d’un corps qui exige sa nourriture, et son activité d’une sensibilité qui veut s’exercer ; enfin d’une personnalité qui veut faire œuvre et créer, se distinguer, pouvoir et se perfectionner ? La science, les beaux-arts, l’industrie, la sociabilité, tels sont les voies et moyens et comme la matière de nos désirs généraux, lesquels se divisent ensuite sous une infinité de modes, dont les principaux sont le désir d’estime, l’amitié, la bienveillance ou la philanthropie, l’amour paternel ou familial, le désir des richesses, etc., etc. Voyez les hommes toutes leurs occupations, toute leur vie est absorbée par ces poursuites.

Les désirs de la seconde catégorie, le mot d’artificiel ou acquis le dit assez, ne sont point essentiels à notre constitution, et sont tous greffés sur une association d’idées. La cause occasionnelle est toujours un désir originel ou naturel dont l’objet du désir acquis était d’abord le moyen de satisfaction. Presque toujours le désir acquis est une déviation, un mal, un défaut. Car bientôt, par l’effet de l’habitude et de l’association constante, l’esprit substitue l’accessoire an principal ; et ce que l’on recherchait d’abord comme un moyen de satisfaire un désir, on te prend lui-même pour le but du désir. De là l’avarice, c’est-à-dire l’amour des richesses pour les richesses ; de là la fausse ambition ou l’amour du pouvoir pour le pouvoir même ; de là, ta gourmandise, l’ivrognerie, la jalousie, la paresse, etc., etc., qui sont tous des moyens dégénérés en but, ou de bons mouvements de Famé transformés par l’excès ou l’abus en désirs coupables, antisociaux, funestes. Rien n’étant plus capricieux et plus varié que les associations d’idées. naturellement les désirs acquis, au lieu d’être conformes dans tous les hommes, sont aussi divers, aussi nombreux qu’il y a de peuples, de races de familles ; que dis-je ? autant qu’il y a d’individus, et même autant qu’il y a d’âges dans ces individus car elles avaient encore les infimes nuances de caractère, de tempérament, d’âge, d’éducation ou de climat, et les autres circonstances non moins multipliées de la vie. Ces désirs acquis, ne répondant point à des besoins naturels, mais à des déviations de l’imagination ou de l’intelligence, n’ont rien qui les rende recevables devant la raison, à moins qu’ils ne soient des causes réelles de bien-être et de jouissances innocentes. Mais comment le seraient-ils ? Nombreux comme ils sont, ils ne peuvent être satisfaits qu’au préjudice des désirs naturels, et maigre ce sacrifice, leur satisfaction n’en est guère plus assurée ; car nos ressources et notre puissance ne les égalent jamais