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ROMANS NATIONAUX

Allons, mes enfants, à table ! (Page 12.)


pour en former quatre compagnies de cent cinquante hommes chacune. Les généraux faisaient les fonctions de capitaines, et les colonels celles de sous-officiers. » — quand il lut ce passage, qui en disait plus sur la misère de la grande armée que tout le reste, les cris et les gémissements se firent entendre de tous les côtés ; deux ou trois femmes tombèrent… on les emmenait en les soutenant par les bras.

Il est vrai que l’affiche ajoutait : « La santé de Sa Majesté n’a jamais été meilleure, » et c’était une grande consolation. Malheureusement ça ne pouvait pas rendre la vie aux trois cent mille hommes enterrés dans la neige ; aussi les gens s’en allaient bien tristes ! D’autres venaient par douzaines, qui n’avaient rien entendu, et, d’heure en heure, Harmentier sortait pour lire le bulletin. Cela dura jusqu’au soir, et, chaque fois, c’était la même chose. Je me sauvai… j’aurai voulu ne rien savoir de tout cela.

Je montai chez M. le commandant de place. En entrant dans son salon, je le vis qui déjeunait. C’était un homme déjà vieux, mais solide, la face rouge et de bon appétit.

« Ah ! c’est toi ! fit-il ; M. Goulden ne vient donc pas ?

— Non, monsieur le commandant, il est malade, à cause des mauvaises nouvelles.

— Ah ! bon… bon… je comprends ça, fit-il en vidant son verre ; oui, c’est malheureux. »

Et tandis que je levais le globe de la pendule, il ajouta :

« Bah ! tu diras à M. Goulden que nous au-