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HISTOIRE D’UN CONSCRIT DE 1815.

Ils jouèrent la marche des Suédois. (Page 21.)


ront notre revanche… On ne peut pas toujours avoir le dessus, que diable ! Depuis quinze ans que nous les menons tambour battant, il est assez juste qu’on leur laisse cette petite fiche de consolation… Et puis l’honneur est sauf, nous n’avons pas été battus : sans la neige et le froid, ces pauvres Cosaques en auraient vu des dures… Mais un peu de patience, les cadres seront bientôt remplis, et alors gare ! »

Je remontai la pendule ; il se leva et vint regarder, étant grand amateur d’horlogerie. Il me pinça l’oreille d’un air joyeux ; puis, comme j’allais me retirer, il s’écria en reboutonnant sa grosse capote, qu’il avait ouverte pour manger :

« Dis au père Goulden de dormir tranquille, la danse va recommencer au printemps ; ils n’auront pas toujours l’hiver pour eux, les Kalmoucks ; dis-lui ça !

— Oui, monsieur le commandant, répondis-je en fermant la porte.

Sa grosse figure et son air de bonne humeur m’avaient un peu consolé ; mais dans toutes les maisons où j’allai ensuite chez les Harwich, chez les Frantz-Toni, chez les Durlach, partout on n’entendait que des plaintes. Les femmes surtout étaient dans la désolation ; les hommes ne disaient rien et se promenaient de long en large, la tête penchée, sans même regarder ce que je faisais chez eux.

Vers dix heures, il ne me restait plus que deux personnes à voir : M. de La Vablerie-Chamberlan, un ancien noble, qui demeurait au bout de la grande rue, avec madame Cham-