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HISTOIRE D’UN CONSCRIT DE 1815.

« Il y a pourtant de braves gens sur la terre ! » (Page 34.]


la main devant sa chandelle, au haut d’un escalier en bois.

« Qu’est-ce que vous voulez ? » fit-elle. Je lui dis que j’avais un billet de logement pour chez eux. Elle descendit et regarda mon billet, puis elle me dit en allemand : « Venez ! »

Je montai donc l’escalier. En passant, j’aperçus, par une porte ouverte, deux hommes en culotte, nus jusqu’à la ceinture, qui brassaient la pâte devant deux pétrins-. J’étais chez un boulanger, et voilà pourquoi cette vieille ne dormait pas encore, ayant sans doute aussi de l’ouvrage. Elle avait un bonnet à rubans noirs, les bras nus jusqu’aux coudes, une grosse jupe de laine bleue soutenue par des bretelles, et semblait triste. En haut elle me conduisit dans une chambre assez grande, avec un bon fourneau de faïence et un lit au fond.

« Vous arrivez tard, me dit cette femme.

— Oui, nous avons marché tout le jour, lui répondis-je sans presque pouvoir parler ; je tombe de faim et de fatigue. »

Alors elle me regarda, et je l’entendis qui disait :

« Pauvre enfant I pauvre enfant ! »

Puis elle me fit asseoir près du fourneau et me demanda :

« Vous avez mal aux pieds ?

— Oui, depuis trois jours.

— Eh bien ! ôtez vos souliers, fit-elle, et mettez ces sabots. Je reviens. »

Elle laissa sa chandelle sur la table et redescendit. J’ôtai mon sac et mes souliers ; j’avais