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ROMANS NATIONAUX


On s’approcha le plus près qu’on put de l’eau. (Page 43.)

Nous étions tout à fait contents, et personne ne se serait douté des terribles choses qui devaient s’accomplir en ce jour. On croyait les Russes et les Prussiens bien loin à nous chercher derrière la Gruna-Bach, mais ils savaient où nous étions ; et tout à coup, sur les dix heures, le général Souham, au milieu de ses officiers, monta la côte ventre à terre : il venait d’apprendre quelque chose. J’étais justement en sentinelle près des faisceaux ; il me semble encore le voir, — avec sa tête grise et son grand chapeau bordé de blanc, — s’avancer à la pointe de la colline, tirer une grande lunette et regarder, puis revenir bien vite et descendre au village en criant de battre le rappel.

Alors toutes les sentinelles se replièrent, et Zébédé, qui avait des yeux d’épervier, dit i

« Je vois là-bas, près de l’Elster, des masses qui fourmillent… et même il y en a qui s’avancent en bon ordre, et d’autres qui sortent des marais sur trois ponts. Quelle averse, si tout cela nous tombe sur le dos !

— Ça, dit le sergent Pinto, le nez en l’air et la main en visière sur les yeux, c’est une bataille qui commence, ou je ne m’y connais pas. Pendant que notre armée défile sur Leipzig et qu’elle s’étend à plus de trois lieues, ces gueux de Prussiens et de Russes veulent nous prendre en flanc avec toutes leurs forces, et nous couper en deux. C’est bien vu de leur part ; ils apprennent tous les jours les malices de la guerre.

— Mais nous, qu’est-ce que nous allons faire ? demanda Klipfel.

— C’est tout simple, répondit le sergent : nous