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HISTOIRE D’UN CONSCRIT DE 1815.

Dans la rivière nageaient les morts à la file. (Page 85.)


masse faisaient un tel bruit, que cela vous donnait la chair de poule : les officiers commandaient en allemand, les chevaux soufflaient, les fourreaux de sabre sonnaient contre les bottes, et la terre tremblait !

J’avais pris le chemin le plus court pour arriver au bois ; je croyais presque y être, quand, tout près de la lisière, je rencontre un de ces grands fossés où les paysans vont chercher de la terre glaise pour bâtir. Il avait plus de vingt pieds de large et quarante ou cinquante de long ; la pluie qui tombait depuis quelques jours en rendait les bords très-glissants ; mais comme j’entendais les chevaux souffler de plus en plus, et que les cheveux m’en dressaient sur la nuque, sans faire attention à rien, je prends un élan et je tombe dans ce trou sur les reins, la giberne et la capote retroussées jusque par-dessus la tête ; un autre fusilier de ma compagnie était déjà là qui se relevait ; il avait aussi voulu sauter. Dans la même seconde, deux hussards lancés à fond de train, glissaient le long de cette pente grasse sur la croupe de leurs chevaux. Le premier de ces hussards, la figure toute rouge, allongea d’abord un coup de sabre sur l’oreille de mon pauvre camarade, en jurant comme un possédé ; et comme il relevait le bras pour l’achever, je lui enfonçai ma baïonnette dans le côté de toutes mes forces. Mais en même temps, l’autre hussard me donnait sur l’épaule un coup qui m’aurait fendu en deux sans l’épaulette ; il allait me percer, si par bonheur un coup de fusil d’en haut ne lui avait cassé la tête. Je regardai, et