Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/180

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comme j’avais encore cinq écus de six livres, j’offris un petit verre à Klipfel et à Zébédé, pour rabattre les brouillards de la nuit. Je me permis d’en offrir un aussi au sergent Pinto, qui l’accepta, disant que « l’eau-de-vie sur du pain réchauffe le cœur ».

Nous étions tout à fait contents, et personne ne se serait douté des terribles choses qui devaient s’accomplir en ce jour. On croyait les Russes et les Prussiens bien loin à nous chercher derrière la Gruna-Bach, mais ils savaient où nous étions ; et, tout à coup, sur les dix heures, le général Souham, au milieu de ses officiers, monta la côte ventre à terre : il venait d’apprendre quelque chose. J’étais justement en sentinelle près des faisceaux ; il me semble encore le voir — avec sa tête grise et son grand chapeau bordé de blanc --, s’avancer à la pointe de la colline, tirer une grande lunette et regarder, puis revenir bien vite et descendre au village en criant de battre le rappel.

Alors toutes les sentinelles se replièrent, et Zébédé, qui avait des yeux d’épervier, dit :

« Je vois là-bas, près de l’Elster, des masses qui fourmillent… et même il y en a qui s’avancent en bon ordre, et d’autres qui sortent des marais sur trois ponts. Quelle averse, si tout cela nous tombe sur le dos !