Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/321

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l’Elster malgré la nuit, tout à coup il me dit : « Comment sommes-nous encore là, Joseph, quand tant de milliers d’autres près de nous sont morts ? Maintenant nous ne pouvons plus mourir. » Je ne répondais rien. « Quelle bataille ! fit-il. Est-ce qu’on s’est jamais battu de cette façon avant nous ? C’est impossible. » Il avait raison, c’était une bataille de géants. Depuis dix heures du matin jusqu’à sept heures du soir, nous avions tenu tête à trois cent soixante mille hommes sans reculer d’une semelle, et nous n’étions pourtant que cent trente mille ! On n’avait jamais rien vu de pareil. — Dieu me garde de dire du mal des Allemands, ils combattaient pour l’indépendance de leur patrie ; mais je trouve qu’ils ont tort de célébrer tous les ans l’anniversaire de la bataille de Leipzig : quand on était trois contre un, il n’y a pas de quoi se vanter. En approchant de Rendnitz, nous marchions sur des tas de morts ; à chaque pas nous rencontrions des canons démontés, des caissons renversés, des arbres hachés par la mitraille. C’est là qu’une division de la jeune garde et les grenadiers à cheval, conduits par Napoléon lui-