Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/340

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de peau râpé tiré sur les oreilles, des gueux qui ne s’étaient jamais fait la barbe et tout remplis de vermine, assis sur de vieilles biques maigres, sans selle, le pied dans une corde en guise d’étrier, un vieux pistolet rouillé pour arme à feu, un clou de latte au bout d’une perche pour lance —, j’ai vu des gueux pareils, qui ressemblaient à de vieux Juifs jaunes et décrépits, arrêter des dix, quinze, vingt soldats, et les emmener comme des moutons ! Et les paysans, ces grands flandrins qui tremblaient quelques mois auparavant comme des lièvres, lorsqu’on les regardait de travers… eh bien, je les ai vus traiter d’un air d’arrogance de vieux soldats, des cuirassiers, des canonniers, des dragons d’Espagne, des gens qui les auraient renversés d’un coup de poing ; je les ai vus soutenir qu’ils n’avaient pas de pain à vendre, lorsqu’on sentait l’odeur du four dans tous les environs, et qu’ils n’avaient ni vin ni bière, ni rien, lorsqu’on entendait les pots tinter à droite et à gauche comme les cloches de leurs villages. Et l’on n’osait pas les secouer, on n’osait pas les mettre à la raison, ces gueux qui riaient de nous voir battre en retraite, parce qu’on n’était plus en nombre, parce que chacun marchait pour soi, qu’on ne reconnaissait