Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/351

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étaient mises à défiler sur la route de Strasbourg à Nancy. Elles s’étendaient d’une seule file du fond de l’Alsace en Lorraine. La tante Grédel et Catherine, à leur porte, regardaient s’écouler ce convoi funèbre ; leurs pensées, je n’ai pas besoin de les dire ! Plus de douze cents charrettes étaient passées, je n’étais dans aucune. Des milliers de pères et de mères, accourus de vingt lieues à la ronde, regardaient ainsi le long de la route… Combien retournèrent chez eux sans avoir trouvé leur enfant ! Le troisième jour, Catherine me reconnut dans une de ces voitures à panier du côté de Mayence, au milieu de plusieurs autres misérables comme moi, les joues creuses, la peau collée sur les os et mourant de faim. « C’est lui… c’est Joseph ! » criait-elle de loin. Mais personne ne voulait le croire ; il fallut que la tante Grédel me regardât longtemps pour dire : « Oui, c’est lui !… Qu’on le sorte de là ; c’est notre Joseph ! » Elle me fit transporter dans leur maison, et me veilla jour et nuit. Je ne voulais que de l’eau, je criais toujours : « De l’eau ! de l’eau ! » Personne au village ne croyait que j’en reviendrais ; pourtant le bonheur de respirer l’