Page:Erckmann-Chatrian - Le brigadier Frédéric, 1886.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

183
Le brigadier Frédéric.

compagnie de Prussiens qui se redressaient, marquant le pas, il me dit :

« Ne les regardez pas, Frédéric, ils sont trop fiers qu’on les regarde ; ils se figurent qu’on les admire. »

Alors je détournai les yeux, et m’étant reposé quelques minutes, j’entrai en ville.

Ai-je besoin maintenant de te peindre la désolation de ce pauvre Phalsbourg, autrefois si propre, les maisonnettes si bien alignées, la grande place d’armes si riante les jours de revue ? Faut-il te parler de ces maisons tombées les unes sur les autres, les pignons renversés, les cheminées dans les airs au milieu des ruines ; et de ces cabarets pleins d’Allemands mangeant, buvant, riant, tandis que nous autres, la mine longue, l’air effaré, misérables et déguenillés à la suite de tous ces désastres, nous voyions ces intrus se goberger avec leur haute paye prise dans nos poches ? Non, rien que d’y penser, mon cœur se lève ; c’est mille fois pire que tout ce qu’on raconte.

Comme j’arrivais au coin de la place d’armes, en face de la tour de l’église encore debout, avec ses cloches fondues et sa vierge, les bras