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BIOGRAPHIE ET CORRESPONDANCE

périlleuse. Je me suis, en effet, rendu à Paris pour en rapporter notre bagage. Par combien d’inquiétudes fut rempli ce voyage, ce n’est pas beaucoup de le dire. Car celui qui pourra se faire une idée de la France remplie de soldats, et de la ville la plus florissante du royaume investie par les Guises, puis saccagée, comprendra facilement que ce voyage n’a pas eu de doux moments. Mais, grâce à Dieu, dans l’espace d’un mois, j’ai pu faire le transport du bagage et revenir ici sain et sauf. Hélas ! quelle misère n’ai-je pas vue ! Les meilleurs hommes ruinés, les premiers Professeurs royaux envoyés en exil, leurs fortunes confisquées. Ici régnait la famine, là c’était la peste qui exerçait ses ravages (on dit que dans l’espace de six mois plus de cent mille hommes ont été victimes de la contagion) ; on ne voyait perpétuellement que des meurtres et partout l’image de la mort. Là où se trouvait le sanctuaire des Muses, on en avait fait une officine de guerre, si bien qu’on n’entendait plus que le cliquetis des armes, le roulement des tambours et le bruit des trompettes. C’est pourquoi je me voyais entrer, non dans Paris, cette pépinière jadis de tous les hommes studieux, mais dans une tout autre ville, nouvelle et tout-à-fait inconnue. Je pensais alors que nous avions bien fait d’en partir au bon moment : car nous aurions été forcés d’y voir se dérouler sans aucun doute beaucoup d’évènements, qui non seulement nous auraient déplu, mais dont nous aurions eu horreur, et qui peut-être nous auraient jetés dans un péril manifeste. Mais c’en est assez.

Quoi qu’il en soit d’ailleurs, nous vivons ici dans une célèbre Académie : Louvain n’a pas cependant ces honnêtes exercices que nous trouvions à Paris, et ses Professeurs ne peuvent en aucune façon être comparés à ceux de cette dernière ville, qu’on considère soit la science, soit la méthode et la grâce d’enseigner. — J’écris ceci, afin qu’on prenne conseil pour le mieux au sujet des études et de la santé de Thomas : à mon avis, il conviendrait que, l’automne prochain, il partit pour l’Italie, surtout avec l’espoir de pouvoir revenir en France quand les troubles actuels seront tout-à-fait apaisés. Car je voudrais encore lui donner un dernier conseil, avant de m’être acquitté de ma charge aux Calendes d’Août prochain. Tu pourras, à l’occasion, causer avec ses parents de