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DE CHARLES DE L'ESCLUSE
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XIX

À Thomas Rediger, à Padoue.


Il n’est pas douteux, cher Rediger, que tu ne sois gravement affligé de cette double nouvelle de la mort de Jean Moremberg, ton oncle maternel, et de celle de ton excellent frère Jean, très lié avec toi. Mais je pense que la mort de ton frère t’accablera davantage, parce que tu le verras dans la fleur de l’âge, encore honoré des charges par lesquelles il a passé, et privé de tes consolations. A moins cependant que tu ne saches déjà, étant instruit par des préceptes tant chrétiens que philosophiques, que tu ne peux accepter de consolation, comme il ne m’a pas été possible d’en trouver moi-même dans une douleur à la fois privée et publique, lorsque j’ai perdu, pendant nos troubles, mon oncle paternel, septuagénaire, qui est mort pour la défense de la pure doctrine. Il n’a pas suffi à ces hommes sanguinaires de livrer à un supplice public un homme des plus méritants, ils ont ordonné encore de dépouiller sa famille de tous ses biens. La situation de ce pays est telle qu’il ne peut pas y en avoir de pire : tout est désespéré[1]. Mais à quoi sert de pousser des lamentations que la douleur aigrit encore ? Certainement je ne t’aurais pas importuné, si tu ne voulais reconnaître que c’est en raison de ton amitié que j’ai été poussé à me plaindre et à te communiquer une partie de ma douleur. Mais Dieu, qui peut seul adoucir nos chagrins par une véritable consolation et nous arracher aux maux présents, daignera favoriser tes voyages. Adieu et porte-toi bien, cher Rediger. Le trouble de mon âme ne me permet pas de t’écrire sur d’autres sujets.

Bruges, en Flandre, 14 Avril 1567. Ton affectionné Carolus Clusius A.


  1. Les Flandres étaient alors sous la domination cruelle et tyrannique du Duc d’Albe.