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un tombereau et jeté en terre, voilà tout ce que c’est ! Mais laissez passer ce flot de sang, et le guillotiné sera salué grand poète, l’échafaud sera le piédestal de sa gloire, et une liasse de papiers trouvés je ne sais où seront les titres à l’apothéose de cet homme. Les poètes ont quelque chose du fils de Dieu, il faut qu’ils traversent le Calvaire pour arriver au Thabor !

Mais parce qu’il y a trop de prose dans les esprits pour laisser place à la poésie, parce que, les vers ne sont plus en vogue, parce que l’harmonie a fait alliance avec le discours, faut-il en conclure qu’il ne peut plus y avoir de poète ? Cette erreur serait grave !

Il y a un temps où la poésie est dans l’air, où il suffit de lui ouvrir son ame comme une fleur ses pétales à la rosée. À mesure que les peuples grandissent, la poésie s’infiltre et se stalactise dans le cerveau de quelques hommes qui, cygnes étrangers et voyageurs, traversent en chantant une foule qui ne les entend plus. Ces siècles prosaïques ne sont pas, comme on pourrait le croire, les plus funestes à l’art, ils font grandir le poète en le refoulant en lui-même et roidissent les cordes de sa lyre contre le choc de tous les intérêts matériels. La poésie n’est plus un fait social, mais c’est un fait indivi-