Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/281

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travail. Mais, un jour que cet oncle vigilant s’était expliqué un peu trop intelligiblement là-dessus, le beau-père accueillit plus que froidement ces ouvertures :

— Monsieur l’abbé, il n’est pas d’un homme sage de se dévêtir avant l’heure de se coucher !

Il n’avait garde, M. de Légé, de mettre son gendre au courant de ses fructueuses affaires ; il suffisait, lui seul, à tout. Établi au cœur de la Double comme l’araignée au centre de sa toile, il ne voyait pas que la moindre occasion profitable lui pût échapper. Les notaires des environs signalaient à ce client d’excellent rapport les bonnes opérations à faire : placements avantageux, achats de créances au rabais et acquisitions de propriétés à vil prix. Malgré l’attention apportée à la solvabilité des emprunteurs il arrivait parfois que certains, maltraités par des circonstances imprévues, ne remboursaient pas aux échéances et qu’il fallait les faire exproprier. Mais, précisément, là encore, M. de Légé moissonnait à pleines mains. Afin de se couvrir, il acquérait à la barre du tribunal les biens expropriés, pour un morceau de pain, car nul dans le pays n’aurait eu la hardiesse d’enchérir contre un pareil amateur.

Toutes ces manigances n’allaient pas sans lui faire des ennemis. Mais c’était de pauvres hères jugulés par des conditions léonines, ruinés par l’hypothèque et les emprunts usuraires, qui n’avaient plus ni terre, ni argent, ni crédit. Que pouvaient ces gens-là contre un homme riche et puissant par lui-même, fortifié par des relations utiles et des amis influents ? Aussi, dans ces âmes abruptes de paysans dépossédés et réduits à la misère, s’amassaient des germes de haine qui parfois se trahissaient en paroles menaçantes ou