Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/312

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son galant, elle ouvrait sa bouche où il crachait à son tour :

— Je t’aime !

« Les anciens usages et emplois superstitieux de la salive sont nombreux, notamment en matière de serments ! » songeait le docteur.

Pendant qu’il était là, réfléchissant à l’origine et à la symbolique de cet échange qui, dans l’esprit des accordés, créait entre eux un lien indissoluble, Daniel fut accosté par M. Carol (de la Berterie), qui avait assisté à la scène et, sans autre précaution oratoire, l’interpella de la sorte :

— Eh bien ! Ils sont propres vos paysans !

— C’est qu’ils n’ont pas reçu, les pauvres, une bonne éducation comme vous ! répondit le docteur en souriant.

M. Carol, qui chez lui vivait dans le plus grand dérèglement, avec deux ou trois chambrières, et se colletait fréquemment avec ses domestiques à leur sujet, ne soupçonna pas l’ironie ; néanmoins il repartit, agressif par tempérament :

— Mais vous les éduquerez, vous !

— Je le ferais si je le pouvais. Malheureusement, les gens qui ahannent toute la vie pour un morceau de pain n’ont pas un instant de ce loisir qui permet de relever la tête et de se cultiver moralement.

M. Carol éclata de rire :

— Vous me la baillez belle, avec votre culture morale !

— Cependant, voyez-en l’effet : mon grand-père et le vôtre aussi étaient des paysans.

— Où voulez-vous en venir ? interrompit M. Carol, rouge de dépit et de colère.

— À rien autre que ceci, c’est que ces paysans que