Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/311

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mémoire, il avait signalé la misère comme une des causes du triste état sanitaire de la Double, sans en rechercher l’origine. Mais, depuis, il avait poussé plus avant. Durant ses longues heures de prison, il avait médité sur la genèse de cette misère, et considéré en esprit cette malheureuse contrée répartie entre un petit nombre de riches propriétaires qui possédaient la terre et un grand nombre de paysans qui n’en avaient point ou très peu : il avait conclu finalement que l’indigence calamiteuse du pays était causée par l’extrême inégalité des fortunes territoriales, les uns regorgeant de superflu, les autres n’ayant pas même le nécessaire.

Et alors, il lui venait des idées que le procureur du roi eût déclaré tout de go subversives de l’ordre social. Le pire était que le docteur, à l’occasion, ne craignait pas de faire connaître ses opinions publiquement. Aussi, dans les foires, les marchés, les frairies de village, il lui arrivait parfois d’avoir des discussions avec tel ou tel gros bourgeois propriétaire, qui goûtait peu ses théories.

Un jour, à la « vote », ou fête patronale d’Échourgnac, Daniel, en se promenant parmi les groupes, remarqua, un peu à l’écart, deux amoureux qui se fiançaient à la mode angoumoisine… S’étant approché, à l’abri d’un arbre, il les épia curieusement. Le garçon disait à la fille.

— Crache-moi dans la goule et dis-moi que tu m’aimes !

Et il badait du bec largement.

Après avoir consciencieusement craché dans la bouche de son promis, la drôle disait :

— Je t’aime !

Et, ayant répété ensuite la même adjuration que