Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/26

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as une raison à donner, car lui aussi a des enfants, et il doit avoir pitié de ton sort.

POLYXÉNÈ.

Je te vois, Odysseus, cachant ta main droite sous ton vêtement et détournant le visage, afin que je ne puisse toucher ton menton. Sois sans crainte. Tu recules devant le Zeus des suppliants, mais je te suivrai, puisqu’il le faut et puisque je désire être morte. Si je ne le voulais pas, je paraîtrais lâche et amie de la vie. Car pourquoi vivrais-je, moi dont le père fut, certes, roi de tous les Phryges ? Ce fut là le premier bien de ma vie. Puis, je fus nourrie de belles espérances et fiancée à des rois, qui rivalisaient à l’envi pour mes noces et se disputaient à qui m’offrirait la demeure et le foyer où j’irais. Malheureuse ! j’étais la maîtresse des femmes Idaiennes, enviée parmi les vierges et l’égale des Déesses, excepté en immortalité, et maintenant je suis esclave ! Certes, ce nom d’esclave me fait désirer la mort, n’y étant point accoutumée. Peut-être aussi aurai-je un maître cruel qui m’achètera à prix d’argent, moi, la sœur de Hektôr et de tant d’autres frères, et qui, me contraignant de pétrir le pain dans les demeures, me forcera, traînant de tristes jours, de balayer la demeure et de manier la navette ! Un esclave, acheté au hasard, souillera mon lit que des rois avaient jugé digne d’eux ! Non, certes ! J’abandonne la lumière que voient mes libres yeux et je livre mon corps au Hadès. Emmène-moi donc, Odysseus, emmène-moi et tue-moi, car il n’y a plus pour nous ni espérance, ni confiance, et je ne crois plus en des jours meilleurs. Et toi, mère, ne t’oppose à rien, ni en paroles, ni en actions, et conseille-moi plutôt