Page:Euripide, trad. Leconte de Lisle, I, 1884.djvu/601

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Mais, si tu pars pour cette guerre en m’abandonnant dans les demeures, et si tu es longtemps absent, quel cœur penses-tu que j’aurai dans ces demeures désertes, auprès de la chambre vide de la vierge, dans la solitude, dans les larmes, et la pleurant toujours ? Je dirai : Ô fille ! c’est le père qui t’a engendrée qui t’a perdue, qui t’a égorgée, et non d’une autre main que la sienne ! C’est la récompense qu’il laisse à sa famille trahie ! Il ne faudra plus alors qu’un léger prétexte pour que moi et les filles que tu abandonnes, nous te recevions comme il convient qu’on te reçoive. Par les Dieux ! ne me contrains donc pas d’être ton ennemie, et ne le sois pas toi-même pour moi ! Soit ! Tu égorgeras ta fille ; mais quelles prières prononceras-tu alors ? Que demanderas-tu de bon pour toi, en égorgeant ta fille ? Sans doute un mauvais retour, après avoir quitté si honteusement ta famille ? Mais moi, que demanderai-je de bon pour toi ? Certes, ce serait croire les Dieux insensés que de les prier pour un parricide ! Et, revenu dans Argos, embrasseras-tu tes enfants ? Lequel de tes enfants te regardera, ayant prémédité de tuer l’un d’eux ? As-tu pensé à cela en toi-même ? Ne dois-tu songer qu’à porter le sceptre et à être stratège ? Il te convenait de dire avec justice aux Argiens : — Vous voulez, Akhaiens, naviguer vers la terre des Phryges ? Tirez au sort à qui fera mourir sa fille. — Ceci était juste ; mais non que, seul entre tous, tu offrisses ta fille en victime. Ou bien il fallait que Ménélaos tuât Hermionè à cause de sa mère, car c’était son affaire. Et maintenant, moi qui ai respecté la foi nuptiale, je serai privée de ma fille, et celle qui a failli, conservant la sienne à Sparta, sous son toit, sera heureuse ! Réponds à cela ! et, si j’ai bien parlé, ne tue pas ta fille et la mienne, et tu seras sage.