Page:Euripide - Théâtre, Artaud, 1842, tome 2.djvu/158

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de Troie ; la fortune a changé, il faut te soumettre. Livre-toi au courant, livre-toi au souffle de la fortune ; que le vaisseau de la vie ne lutte pas contre l'orage, quand il navigue au gré du sort. Hélas ! hélas ! qui a droit de gémir, si ce n'est une infortunée qui voit périr sa patrie, ses enfants, son époux? O gloire de mes ancêtres, aujourd'hui anéantie, que tu étais peu de chose! Que faut-il taire? que faut-il dire? que faut-il déplorer? Infortunée, à quel état de souffrance réduit mon corps la couche douloureuse sur laquelle reposent mes membres ! Ma tête froissée, mes flancs meurtris s'agitent et se retournent en vain, pour trouver quelque situation plus supportable, renouvelant sans cesse mes tristes lamentations. Il y a aussi un charme pour les malheureux à faire retentir leurs plaintes.

O vaisseaux rapides, qui, sortis des beaux ports de la Grèce, aux accents d'une joie funeste, accompagnés des sons perçants de la flûte et du chalumeau, avez traversé les flots pourprés de la mer pour attacher aux rivages troyens les cordages, invention de l'Égypte (10), et réclamer l'odieuse épouse de Ménélas, opprobre de Castor, déshonneur de l'Eurotas (11) ! c'est elle qui a fait périr Priam, le père de cinquante enfants; c'est elle qui m'a précipitée, moi, la malheureuse Hécube, dans cet abîme d'infortune. O cruel séjour que j'habite ! je me tiens à l'entrée de la tente d'Agamemnon ; esclave chargée d'années, on m'entraîne loin de mon antique demeure, la chevelure rasée en signe de deuil, la tête impitoyablement ravagée. Épouses infortunées des guerriers troyens, et vous, jeunes vierges, contraintes à d'odieux hymens, pleurons, roie est en cendres. Ma voix, semblable à celle d'un oiseau plaintif, que ses petits répètent en gémissant, guidera vos chants