Page:Europe (revue mensuelle), n° 123, 03-1933.djvu/110

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rencontrer ! Depuis quand es-tu à Bucarest et que fais-tu ? Mais ne parlons pas ici. Viens ! Montons et allons loin, loin !

Adrien était perdu. Évanouies, toutes ses pensées. Les grands yeux noirs de la femme lui perçaient le cœur. Le parfum qu’elle répandait l’étourdissait. Son corps fondait sous la chaleur qu’elle lui transmettait, par le serrement de ses mains gantées.

— Viens donc ! Pourquoi hésites-tu ?

— Non, balbutia-t-il. Je ne monte pas. Lâche ton mouscal. C’est mieux à pied.

— Ce n’est pas mal « dans le mouscal » non plus !

— Peut-être. Mais je n’y monterai pas. Inutile d’insister. Prenons plutôt une route latérale à pied.

— Mon Dieu que tu es curieux ! J’avais pourtant un si grand plaisir à faire cette promenade en voiture. Dois-je te céder, moi, femme ?

— Oui, toujours.

— Dans un autre sens, mais pas pour les caprices.

— Chez moi ce n’est pas un caprice.

— Quoi, alors ?

— Une impossibilité.

— De monter dans une voiture ?

— De monter… « dans un mouscal ».

Elle lui fit la moue. Ne devinant pas son trouble, elle fut impressionnée par son calme, alla renvoyer la voiture et revint lui prendre le bras :

— Est-ce que je t’importune ?

— Nullement.

— Et c’est tout ?


Lucie Nicolesco, ou Louichia tout court, était une très jolie poupée, stupide comme une botte. Enfant naturelle d’une marchande de volaille de Braïla, elle comptait le même nombre de printemps qu’Adrien. Pendant les premières années de leur adolescence, ils furent voisins de logement et Loutchia, quotidiennement battue par son ivrognesse de mère, dut souvent aux interventions d’Adrien de n’être pas complètement assommée. Pour son bonheur, la marâtre disparut à temps, lui laissant une petite habitation et quelques économies